J'ai fait un drôle de rêve, cette nuit. Et en fait de rêve, c'était plutôt un cauchemar.
Dans mon rêve, donc, tout le monde était soit énarque, soit polytechnicien, soit normalien, tous possédaient un Q.I. minimal de 135, un appartement de deux cents mètres carrés et une voiture avec intérieur cuir. Tous ne parlaient que d'artistes hype, de restaurants branchés, de livres érudits, de films d'auteurs et de poètes oubliés. Tous les hommes étaient des clones de Villepin et toutes les femmes des sosies de Carla.
Mais à quoi pouvait bien leur servir leur intelligence, leur savoir, leur argent, leur élégance ? Les restaurants avaient fermé faute de serveurs et de cuisiniers. Les voitures de luxe restaient au garage car les stations-services n'étaient plus approvisionnées. Même le pain commençait à manquer.
Car aucun de ces énarques, de ces polytechniciens, de ces normaliens n'était titulaire d'un permis poids-lourds permettant d'approvisionner les marchés, restaurants, stations-services. Aucun d'eux n'avait envie de se lever à deux heures tous les matins pour confectionner du pain. Plus de manucure, d'esthéticienne, de coiffeuse. Plus de garagiste, de plombier, d'électricien, de serrurier. Plus d'aide-soignante, d'infirmière, ni même de médecin traitant. Et personne ne voyait où était le problème, personne ne comprenait, personne n'était prêt à faire le moindre effort pour mettre la main à la pâte : ils n'avaient que l'habitude de mettre la main à la poche...
La société, n'importe quelle société est un mélange de compétences, de personnalités, de savoirs, du plus ponctuel au plus vaste, en passant par le plus spécialisé. Tout humain a (ou devrait avoir) sa place dans la pyramide des vies qui la composent, du plus humble au plus renommé, du plus basique au plus compétent, du plus bête au plus intelligent, du plus pauvre au plus riche, comme autant d'engrenages indispensables d'une même machine.
Et comme pour la pyramide des âges, il ne fait pas si bon que cela se trouver tout au sommet, car la raréfaction des alter ego rend ce sommet bien peu hospitalier et chaleureux. Non, la meilleure place, la plus vivante, la plus accueillante et agréable, c'est tout au milieu, aux carrefours des foisonnements humains.