Je suis en colère. Je suis en colère contre mes clients, en colère contre mes fournisseurs, en colère contre les marchés de matières premières, en colère contre l'esprit capitaliste, en colère contre la crise.
Ce matin, à l'ouverture à sept heures, un client arrive avec un devis que je lui ai fait en 2007 (et pas un petit devis... une chaufferie d'immeuble complète à refaire, changement de chaudières et tutti quanti : il y en a pour un saladier ...). Et il me dit, la bouche en coeur (en forme d' €, je dirais plutôt), qu'il signe mon devis si je lui consens un rabais de 5%. N'en croyant pas mes oreilles, je lui signale que mon devis date de trois ans, alors que les prix ne sont garantis que trois mois, c'est bien stipulé sur le devis, et pas en lettres microscopiques. Et il me répond avec un grand sourire qu'il le sait, qu'il a vu, mais qu'avec la crise tous les prix ont baissé et que c'est à prendre ou à laisser.
Alors, non, Monsieur les prix n'ont pas baissé. Le prix des salariés tout d'abord : il a augmenté, peu, trop peu, selon les grilles des salaires de notre profession, mais ils ont augmenté, et en tous cas, de plus de 5% en trois ans. Les charges sociales n'ont pas diminué non plus. Quant aux matériels et matériaux, ils ont tous pris au minimum 5% par an (avec mention spéciale pour mon fournisseur principal qui m'annonce une seconde augmentation de 6% en juillet alors qu'il a déjà augmenté de 3% en janvier...). En trois ans, j'ai donc déjà plus de 15% de hausse sur le matériel.
Le problème de l'établissement d'un prix dans l'artisanat ou le bâtiment, c'est qu'il y a deux façons de le calculer (je ne parle pas de la troisième qui consiste à faire un prix à la louche en se disant que de toutes façons, comme il faudra rabaisser, autant partir d'un prix hyper gonflé ; ce n'est pas le genre de la maison, cela ne l'a jamais été et ne le sera jamais).
La première méthode, c'est de calculer le prix du matériel que l'on va poser, d'appliquer dessus la marge qui permettra de payer les loyers, véhicules, personnels administratifs et d'y ajouter le prix de la main d'oeuvre estimée nécessaire à la réalisation des travaux. Avec de l'expérience et du sérieux, ce prix est réaliste, il garantit à l'entrepreneur une juste rémunération de son travail et de celui de ses employés.
La seconde méthode, c'est de comparer avec le prix des confrères, le prix du marché, et de s'aligner dessus. Le problème, c'est que si le confrère, parce qu'il a des gars à occuper, plutôt que de les mettre au chômage technique traite des marchés à perte en se disant qu'il se rattrapera sur le reste de l'année, il fait baisser ce prix de marché, ce prix de concurrence, et on arrive à du n'importe quoi. L'idéal serait que ces deux modes de calcul coïncident le plus possible, mais c'est rarement le cas en ce moment.
Le commerce actuel, avec l'achat par les français de produits manufacturés en Chine ou ailleurs où la main d'oeuvre est très bon marché, a fait chuter le prix desdits produits manufacturés, et tout le monde s'effare, en comparaison, des sommes à débourser dès qu'il s'agit de faire travailler un professionnel français.
En plus de tout, cherry on the sundae, il refuse de payer la TVA à 19,6% sur la fourniture des chaudières, voulant tout payer à 5,5 %, sous prétexte que les autres entreprises à qui il a demandé des devis n'ont pas appliqué deux taux de TVA différents. Merde.... Ce n'est pas de ma faute si en France, tout est toujours très compliqué dans les règlementations, ce n'est pas de ma faute non plus si les confrères ne savent pas lire les textes du code des impôts.
Enfin bref... J'ai jusqu'à la fin de la semaine pour refaire mes calculs et pour me décider : accepter le deal et donner du travail pour au moins deux mois aux ouvriers, même si on perd de l'argent ou en étant très très optimiste, si on n'en gagne pas, ou refuser et risquer qu'il n'y ait pas grand chose d'autre à faire, et qu'on doive recourir au tournage en rond ou au chômage technique... En gros, prière de ne pas m'enquiquiner cette semaine !!!