" Elle lui en voulait de l'avoir mise à ce point mal à l'aise. Elle aurait aimé détourner les yeux de la scène, comme l'on fait lorsqu'on surprend involontairement quelqu'un dans son intimité. On tourne la tête, on ne dit rien et chacun fait comme s'il ne s'était rien passé, seule façon de rendre la vie sociale supportable. Il y avait des choses que l'on ne devait pas voir, des mots que l'on ne devait pas prononcer, et si par hasard ils vous échappaient dans le feu de la conversation, ils n'étaient jamais répétés. Le secret était en quelque sorte un mal nécessaire.
Or, pour le prix d'un billet de théâtre, une femme debout sur les planches révélait au monde entier votre âme, vos désirs, vos souffrances, votre vulnérabilité !" ...
... "Une part d'elle-même n'appréciait pas la mise à nu des sentiments qu'elle n'aurait jamais osé s'avouer, mais elle éprouvait par ailleurs un profond soulagement à constater qu'elle n'était pas seule à avoir ces pensées. D'autres femmes ressentaient le même appétit, les mêmes désillusions, cette impression d'avoir trahi leurs rêves de jeunes filles.
Ces choses devaient-elles être dites en public ? Était-il indécent d'exposer des sentiments aussi intimes ?" ...
[Des oeuvres théâtrales telles La maison de poupées d'Ibsen furent censurées et interdites en Grande-Bretagne par Lord Chamberlain à la fin du XIXème siècle. Le roman écrit par Anne Perry, qui est avant tout un roman policier mais aussi un roman historique, est basé sur la censure d'une de ces pièces de théâtre qui annoncent les prémisses du féminisme.]