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Le dimanche matin au port
Le
dimanche matin nous aimons, ma soeur et moi, aller réveiller nos
parents dans leur lit, nous glisser dans les draps chauds entre eux deux
et finir par un chahut monstre à sauter sur le sommier comme sur un
trampoline, même si nous ne comprenons pas pourquoi parfois la porte est
fermée à clé. Alors nous crions et tambourinons jusqu'à ce qu'on nous ouvre.
Le dimanche matin, ma soeur et moi allons à la messe des enfants, celle
de neuf heures. Mon père est catholique, ma mère un peu moins, c'est à
dire qu'elle a été baptisée à l'âge adulte, officiellement pour pouvoir
être la marraine de la fille d'une de ses cousines, mais je soupçonne
que c'est surtout pour pouvoir épouser mon père à l'église quelques mois
plus tard. Bibie et moi allons donc à la messe. Mais pas les parents.
Quand nous rentrons une heure et quelques plus tard, ma mère est en
pleine préparation du repas dominical et mon père nous emmène toutes les
deux en promenade, histoire que nous ne restions pas dans les jambes de
ma mère. Et quand je parle de débarrasser le plancher, je crois que ma
mère n'est pas mécontente de ne plus avoir non plus mon père dans son
chemin.
Mon père aime le port. Nos balades dominicales nous
amènent invariablement vers la mer. Pas la mer et la digue du Kursaal et
de Malo où à la belle saison les badauds se promènent. Non, la mer et
le port, les écluses, les cales sèches, les docks, le bassin minéralier.
Nous restons des heures à observer les ponts levis se lever pour
laisser passer les cargos tirés par de minuscules remorqueurs. Nous
remontons la jetée jusqu'au bout de la partie piétonnière, nous arrêtant
à l'endroit interdit aux promeneurs, fait d'amoncellement de
tétrapodes de béton armé recouverts d'algues vertes. Nous nous arrêtons
auprès des pêcheurs au carreau, les regardant manoeuvrer leurs filets
suspendus à une armature arrimée à la jetée, nous extasiant quand ils
remontent une limande ou prenant un air dégoûté quand le carreau n'a
retenu que des beuts ou des plat'ches, carrelets ou de la même famille,
cartilagineux et de peu de valeur gastronomique. Mais le meilleur, c'est
aux marées d'équinoxe ou durant les grandes tempêtes, les deux allant
souvent de pair : nous assistons, éberlués tous les trois, au
déferlement des fureurs maritimes, dépassés par leur force implacable et
leur beauté sauvage.
Puis nous rentrons gelés, souvent
trempés, les cheveux en bataille et les souliers maculés de mazout et
auréolés de sel, déguster le poulet aux petits pois et la tarte aux
pommes préparés par ma mère.