Le petit café
J'ai deux ans ou deux ans et demi. Ma soeur n'est encore qu'un bébé. Nous habitons une rangée de maisons mitoyennes où chaque maison est la copie conforme ou inversée de celle d'à côté. La voisine, la cinquantaine joviale, adore les enfants. Elle a un fils adulte marié sans enfants et deux filles encore adolescentes. Je suis sa chouchoute. Au début des années soixante, la France et mes parents découvrent la société de consommation. À Lille, tous les ans se déroule une foire internationale des arts ménagers. Nous avons une voiture, une 2 CV, mais pas les voisins. Madame Martin meurt d'envie d'y aller, mais pas son mari. De plus, à quatre adultes, un enfant et un bébé, dans une deudeuche, ce serait limite. Faire quatre-vingts kilomètres sur les nationales, c'est déjà une expédition, presque un voyage en terra incognita. Dans les allées de la foire, les bonimenteurs prennent la voisine pour la belle-mère de ce jeune couple avec enfants. Mon père rigole mais ne dément pas. Le surnom de Belle-Maman lui restera à vie. Et de fait, elle devient ma troisième grand-mère, ma grand-mère de coeur : Mémé Tin.
Dans le jardin, une clôture de bois sépare nos deux jardins. Quand je veux aller voir Mémé Tin, ma mère me passe par dessus celle-ci, et rapidement, pour plus de simplicité, on positionne les bancs de bois de part et d'autre de la séparation de manière à ce que je puisse escalader l'obstacle sans l'aide d'un adulte. Je ne vais pas encore à l'école et tous les jours, après le déjeuner et avant la sieste, je vais rendre visite à ma Mémé Tin. On papote, on papote et comme elle boit son café, elle me fait des canards avec un sucre. Elle prend son café et moi, mon petit café.