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Les chaussures
En ce presque dernier jour de vacances, j'entreprends de ranger mes chaussures. Entreprendre, je m'en rends compte, ne signifie pas forcément y parvenir. Il faut dire que la tâche est rude voire impossible. Comme nombre de femmes, j'ai une passion pour les souliers, escarpins, ballerines et autres paires de bottes. Un psychomachin trouverait sans doute une raison à cet amour immodéré, je ne sais pas, je m'en fiche un peu. J'aime que les chaussures suivent avec ma tenue, par leur style, par leur couleur, ou même qu'elles ne suivent pas si j'en ai envie. D'aussi loin que je me souvienne, les chaussures ont été importantes pour moi et sources de conflits maternels. S'affirmer en choisissant des chaussures improbables.
J'ai cinq ans. Ma mère veut m'acheter des chaussures en cuir blanc avec une bride sur le dessus, ce qu'on appelle des babies. Il faut que le cuir soit solide et supporte de nombreuses couches de cirage blanc. J'ai essayé tous les modèles du magasin. La vendeuse à mes genoux, au milieu des piles de boîtes commence à s'énerver un peu. Ma mère commence à s'énerver beaucoup. C'est que dans le coin des articles de fin de séries, j'ai repéré une paire qui ressemble pourtant à ce que ma mère désire, je trouve, sauf que le cuir blanc est recouvert au bout par du cuir vernis noir avec des petits trous et un bord dentellé et que ma mère refuse de me les acheter. Trop fragiles. Trop démodées. Trop "pas en accord avec ce qu'elle souhaite". Une heure et une crise de larmes plus tard, je repars avec un superbe sac plastique Bata contenant la boîte de mes chaussures de rêve. Il faut dire qu'en soldes, elles coûtent bien moins cher que les autres. L'argument est décisif ! Je suscite l'intérêt de mes petites copines de maternelle qui aimeraient bien avoir de si jolis souliers. La maîtresse me demande si je veux faire des claquettes avec Shirley Temple. Je m'en fiche, je ne sais même pas qui c'est.
J'ai dix ans. Je veux des chaussures à semelles compensées comme celles de mes copines, des mocassins en nubuck, avec une semelle épaisse de cinq centimètres de matière légère et souple. Nous faisons le tour de tous les chausseurs de la ville. Je boude. Je ronchonne. Je pleurniche. Deux heures plus tard, je rentre à la maison avec un sac André contenant les merveilles. Deux mois plus tard, je marche de manière atroce, la semelle s'était usée davantage sur l'extérieur du pied que sur l'intérieur, mon petit défaut de position de pieds ayant entamé la semelle tendre et accentué le problème.
J'ai quinze ans. Je veux des bottes à talon (très) haut, en cuir fauve, montant jusqu'au genou et me faisant gagner une quinzaine de centimètres. La vitrine de chez Eram me fascine : elles trônent en plein milieu. Elles coûtent (très) cher. Je les veux, je les veux, je les veux. Une semaine plus tard, une pluie verglaçante s'abat dans les rues juste avant la fin des cours. Je tombe au moins dix fois sur le trajet pourtant court entre lycée et maison. Même s'il ne gèle pas, marcher avec est un supplice, je me fais l'impression d'être une petite chinoise aux pieds bandés. Cet hiver-là, je porte souvent mes baskets de toile même lorsque il pleut.
Et puis, plein d'autres... des tongs (qui ne sont pas de vraies sandalettes et qui abîment les pieds), des Clarks (qui n'ont pas de voûte plantaire et qui abîment les pieds), des tennis (qu'on ne doit porter que pour la gym sinon on s'abîme les pieds), des bottines vert olive (qui ne sont pas si mal mais qui abîment les yeux - ma mère déteste le vert)....