Qui ne connaît Stupeur et Tremblements, le plus célèbre roman d'Amélie Nothomb ? Qui ne l'a lu ou vu au cinéma ? Et pourtant la pièce ou devrais-je écrire le monologue est une vraie découverte et une relecture plus universelle, qui rend plus évident le message de Nothomb.
Le rideau se lève et Layla Metssitane est agenouillée, vêtue comme une iranienne d'un long vêtement noir, le visage voilé. Devant elle, une table basse couverte de feuilles de papier et de ce que l'on pense être des instruments de calligraphie : crayons, pinceaux, pots. Elle se déshabille et en sous-vêtements entame sa tirade. Elle récite en une interminable litanie les codes et interdits qui régissent la vie d'une femme au Japon. Et au fur et à mesure de sa récitation, elle se couvre le visage de ce maquillage blanc de la geisha : la représentation visible de la prison mentale de la tradition.
Et pendant toute la durée du spectacle, Layla, seule sur scène va raconter la désopilante descente aux enfers d'Amélie-San, mais surtout elle va raconter l'observation qu'Amélie fait de la condition féminine japonaise par le biais de celle qu'elle fait de sa supérieure hiérarchique à la fois haïe et adorée, Mademoiselle Mori.
Il faut admirer la mémoire de Layla Metssitane. Toute la pièce est dite par ses lèvres. Pas le moindre partenaire à qui se raccrocher en cas d'oubli ou d'erreur. Pas le moindre souffleur. Pas la plus petite oreillette. Pas de prompteur.
Il faut admirer la diction de Layla Metssitane, pas un syllabe n'a trébuché sur ses lèvres, pas une hésitation, pas un bégaiement. Le flux de ses mots a coulé sans obstacle.
Et enfin, il faut admirer le talent de Layla Metssitane, seule sur scène, dans un décor minimaliste, qui donne vie aux différents personnages de la pièce par la simple narration. Il est d'ailleurs amusant de constater que les personnages qu'elle joue vraiment sont les personnages autres qu'Amélie. Amélie, elle, raconte. C'est normal car cette pièce n'est pas une pièce mais des extraits de roman. Et Layla est donc Amélie, mais une Amélie à la première personne, une Amélie qui nous convie à voir et à entendre et à ressentir par son intermédiaire, une Amélie qui "joue" le vice-président ou Mlle Mori, tout en restant Amélie.
Pas un instant on ne décroche son attention, on est suspendu à ses mots, captivé par ses gestes méticuleux lorsqu'elle se maquille, puis se démaquille à la fin de la pièce. On rit, on est ému, ou agacé (un peu) par l'emphase de l'auteur. On réfléchit aussi à la place des femmes dans les diverses sociétés, au poids des cultures, à l'universalité de certains comportements.
Cette pièce, choisie un peu au hasard au kiosque de la Madeleine, pour un soir de week-end pascal dans un Paris déserté de ses habitants, s'est révélée être bien plus qu'un agréable passe-temps. Amis parisiens, surtout, n'hésitez pas.