Auteur : Patrick Schwartz (Eighthuit's), compilation de textes publiés sur son blog Vox, défunte plateforme de blogs. Ce serait vraiment dommage que ces textes si pleins de vie, de tendresse et d'humour se perdent.
1 - Le cochon
J'étais encore gamin, je m'en souviens très bien. C'est comme qui dirait hier. On tuait le cochon. Quand je dis, on, c'est pas moi. C'était le boucher Alfred qui venait avec sa cognée. Il sortait de son Aronde, on causait, quand je dis on causait, ce n’était pas moi, moi je regardais.
Pour les cinquante ans de mariage du pépé et de la mémé, le cochon allait passer de vie à trépas. Il y était pour rien. On buvait le rouge qui tache, moi j'avais droit à de la grenadine, mais si on regardait vite on aurait pu se gourer, pour un passant qui serait passé. Mais dans le patelin, il n'y avait pas grand monde.
Il y avait les vaches et les bouses, moi je me rappelle bien des bouses, parce qu'elles étaient toujours molles à l'intérieur, même que tu pouvais planter un bâton dedans que c'était encore mou. Un certain temps. Après, c'était comme tout, ça finissait par durcir. Il y avait aussi un tracteur. C'était celui du forgeron. Mais le cochon, lui il n’en avait rien à fiche du tracteur. Je vous parle du tracteur, parce que d'un coup, j'y pense.
Y avait aussi Tata qui était venue donner la main, à cause du sang. On donnait pas encore son sang pour avoir un sandwich, mais le cochon, lui, allait donner le sien pour la bonne cause comme ils disaient autour de moi. Tout le monde retroussait les manches, et lorsque tu es gamin, tu agis comme un caméscope, tu enregistres et tu fais tout pareil.
Alors comme ils avaient tous des casquettes, même mon père qui n'en mettait pourtant jamais, Mémé m'en a mise une sur la tête aussi. Ça faisait paysan, à ce qu'y paraît. Je dis ça pour que vous visualisiez la scène. J'avais la casquette qui me descendait jusque sur le nez, alors Mémé y a mis du papier journal. Je portais un short et une croûte sur le genou droit, mais ça, vous n’êtes pas obligé de le retenir.
Alors après, la scène du crime, c'était la grange. On était tous là, à le regarder (le cochon) qui, lui, se demandait qu'est-ce qu'il fichait là, alors qu'il n’avait rien demandé à personne. On sentait quand même une pression d'un côté, là où nous étions tous, et de l'autre côté, où lui était tout seul. Si on lui avait demandé son avis, il serait retourné dans la porcherie à mon sens. Mais à moi, on ne me demandait jamais rien.
Alors l'Alfred, il a dit : "Ohééééééé, c'est du beau, c'est du bon, c'est du bon cochon." Alors le père l'a attrapé par la queue, la vraie, celle qui est en tire-bouchon, et l'Alfred lui a mis la tête entre les genoux et a levé la cognée comme un bûcheron, elle est retombée à côté, enfin, presque.
Pour le coup, Pépé il a dit que c'était un coup de rouge de trop, mais le cochon, lui, l'a pas entendu de cette oreille, il s'est mis à cavaler dans la grange comme s'il avait le feu au cul, en poussant des cris, comme des cris de la mort.
Ça mettait les jetons, on s'est tous éparpillés comme une volée d'étourneaux, la première échelle, que j'ai trouvée, j'y ai vu mon salut. Par le passé, j'étais déjà monté sur une échelle, mais à cette vitesse-là, je peux pas vous raconter, c'est pas racontable, j'étais en haut plus vite que de terminer d'écrire la phrase.
L'Alfred, il avait fait 14-18, alors un cochon ou un chleuh, comme il disait, ça lui faisait pas peur. Le cochon, lui ne voyait son salut qu'avec la mémé qui lui avait donné à bouffer pendant toute l'année, et l'année précédente aussi, mais la mémé s'était déjà enfermée dans la buanderie avec Tata.
Mon père avait décidé que l'échelle pouvait en supporter deux. Mais moi, j'y étais déjà plus, j'étais dans les foins où j'avais les chocottes, je me disais à raison qu'un cochon ne pouvait quand même pas monter une échelle, mais quand j'ai vu que l'échelle bougeait, j'ai révisé mon jugement, le cochon savait grimper.
Au deuxième han, le cochon était mort. Alors, fallait se précipiter pour le saigner, mais avant fallait le ficeler sur une planche qu'on posait à la verticale, la tête en bas et de préférence le ventre à l'air. Je n’ai pas aidé, j'étais encore trop petit et j'avais les genoux qui jouaient des castagnettes. Les grands y allaient avec des seaux, faut voir comment il saignait, c'était quelque chose, faut dire que l'Alfred il avait des couteaux à faire peur.
Dans la cuisine de la ferme, la mémé, elle chauffait sur la cuisinière des faitouts, franchement la taille, j'aurais pu y contenir tout entier, et on versait le sang là-dedans, et on remuait sans cesse.Tata disait que c'était pour faire le boudin, que dans le cochon, tout est bon. Je n’ai pas pu aider, j'étais encore trop petit.
Pendant ce temps-là, dehors dans la petite cour, on préparait une grande baignoire d'eau très chaude, franchement, j'aurais pas voulu qu'on me plonge dedans, tellement l'eau était chaude, fallait même être fou que de vouloir y mettre un pied. D'autant plus, qu'on se lavait le samedi et qu'on était dimanche, je n’allais quand même pas prendre un bain deux jours de suite !
L'Alfred, y pouvait venir que le dimanche, parce que les autres jours il travaillait à la boucherie, on faisait comme on pouvait, le cochon, il a pas eu de chance, parce que si on avait été lundi, et bien il y aurait échappé. C'est ce que je pensais sérieusement. Ce n’était pas pour moi l'eau, c'était pour lui, fallait lui enlever les soies. Déjà qu'il était nu, fallait encore lui enlever autre chose, alors les hommes ont posé des cordes en travers du baquet, je me suis dit : des fois qu'il y en a un qui tombe dedans, avec la corde il pourra ressortir.
Et plouf, le cochon était dans son bain. Tout de suite, il a eu la peau rouge, le pauvre. Après il faut avoir de l'imagination, les ustensiles ressemblaient à des petites cloches, enfin moyennes, disons de la taille d'une paume de main d'homme, aux bords aiguisés, mais sans le machin à l'intérieur qui fait "ding dong" et avec ça, ils enlevaient la soie, le poil, et ça y allait franchement. Et quand ils avaient terminé d'un côté, ils tiraient avec les deux cordes de l'autre côté pour que la brave bête soit complètement épilée. Après, elle était propre comme un sou neuf. Alors les trois hommes et demi, je donnais la main, on a remis le cochon sur sa planche et hop, on a redressé le tout contre le mur. Franchement, il ne se serait pas reconnu, s'il avait pu. L'eau de mon bain, le samedi, elle était déjà sale, mais alors l'eau du sien !...
Après, l'Alfred lui a ouvert le ventre. Je l'ai vu faire une fois. Après, quand Papa disait :"Tu viens ? on va tuer le cochon", j'avais toujours quelque chose à faire, franchement manger une côtelette c'est appétissant, mais voir le reste, ça vous coupe la faim. Donc pour en revenir au récit, ils ont tout sorti même le caca, parce qu'ils avaient besoin des machins longs, là, pour faire la saucisse et le boudin. Après, fallait préparer le pâté, couper la viande en morceaux, préparer les jambons pour la fumaison.
Pour en venir à quoi déjà, c'était pourquoi que j'écrivais le texte déjà ? Ah oui, je m'en souviens maintenant. Après toutes ses bonnes choses, fallait quand même aller se laver, une fois de plus, et lorsque je suis rentré dans la salle de bain, où le chauffe-eau brûlait avec quelques bûches de hêtre, il y avait déjà Tata. Aujourd'hui on dit Tati, mais les formes restent les mêmes. Elle était dépoitraillée, avec du sang jusqu'en haut des épaules avec ce boudin ! Et qui se bassinait allègrement.
Elle avait des seins, mais des seins.... Je peux pas dire comment, vu que j'avais pas de comparaison possible, peut-être le pis des vaches, blancs, crémeux avec deux tétines, je crois que je peux dire que si j'avais été un veau, je me serais mis à la téter.
Mais je crois que ce qui m'a le plus frappé, c'était la quantité incroyable de poils noirs qu'elle avait sous les bras. Je me demandais dans ma petite tête, comment elle pouvait baisser les bras...
2 – Les vaches
Un jour, mais c'était y à longtemps, je vous parle d’il y a un certain temps, avec Tifer qu'était venu de chez lui dans la 404, parce que son vieux il avait changé de bagnole, mais que nous, on avait toujours la Dauphine, mon père y jurait que par Renault, alors que le sien, y jurait que sur la Peugeot, eh bien, on s'est retrouvé à courir derrière les vaches, parce que ces bêtes-là, fallait bien qu'elles bouffent aussi.
Alors le pépé, y nous disait comme ça, en patois que j'ai traduit parce que sinon, vous n'auriez rien compris, il disait comme ça : "Faut les mener au pré." (En français dans le texte) . Purée, ce n’était pas la porte à côté et elles étaient sept, et en plus elles écoutaient rien, parce que nous on causait en français et qu'elles ne comprenaient que le pépé qui leur causait en patois. En plus il y avait plein de prés avant celui où on devait aller, alors elles allaient pas là où elles devaient aller, c'est à dire de l'autre côté de la colline. Parce que c'était loin pour elles aussi. Alors ça râlait sec dans les rangs des vaches.
Mémé, nous avait donné un lapin pour manger à midi, mais Tifer lui avait dit que c'était pas la peine qu'elle le cuise parce que lui, y savait faire le feu, comme les hommes de Cro-Magnon qu'il a dit à Mémé qui avait pas compris parce qu'elle, elle cuisinait quand même vachement bien, et je te jure quand tu mangeais à la table de Mémé et de Pépé, eh bien, il restait rien dans l'assiette.
Mais comme elle ne voulait pas chagriner Tifer, qui lui n’en démordait pas, parce qu'il voulait manger comme les hommes de Cro-Magnon, elle a dit que la viande crue c'était quand même pas terrible. Tifer était sûr de son affaire, il la ferait cuire, il avait sa petite idée.
- T'inquiète, le Pat, qu'il me fait, t'auras jamais aussi bien bouffé.
Alors on avait un lapin cru, du pain et du fromage blanc, avec des échalotes, et du sel, un peu de poivre et des allumettes, pour l'eau on buvait comme les vaches, il y avait une source dans le pré. Juste qu'il fallait mieux boire l'eau plus haut que là où elles étaient, elles. Question d'hygiène, parce que nous, on avait ramené du savon pour se laver les mains avant de passer à table.
Une fois que les vaches, elles étaient dans le pré, ben nous, on savait pas quoi faire, parce que les vaches ça vous fait pas la conversation. Elles font que bouffer, pisser et bouser. C'est limite pour causer avec une vache. Alors le Tifer, il a dit comme ça :
- On va fumer.
Vu qu'il était plus âgé que moi et qu'il détenait le savoir, j'ai dit :
- Oui !
Alors, il a sorti un cigare comme je n’en avais jamais vu, qu'il avait acheté la veille pour ce jour mémorable qu'allait être notre journée. (C’était pour le pépé, un cadeau, qu’il avait dit).
- Tu comprends qu'il me dit, si ta mémé nous avait refilé le lapin cuit, on n’aurait pas eu les allumettes. Purée, y en avait dans sa caboche,au Tifer.
- Alors d'abord, il a dit, faut qu'on fasse un feu comme les indiens damériques, pas les indiens dindes, c'est pas les mêmes.
- Ah, j'ai dit.
Alors, on a fait un feu avec les allumettes que Mémé avait données, en nous disant qu’il ne fallait pas qu'on mette le feu au village. Ça nous avait bien fait rigoler, tous les deux. Après, on a coupé deux branches d'arbre et une troisième bien verte pour embrocher le lapin. Après, on a tourné à tour de rôle le lapin pour qu'il cuise. On a mangé le fromage blanc avec les échalotes émincées, pendant ce temps là, le lapin finissait de carboniser. En vingt minutes il était noir, donc on a décidé de le manger. Comme les hommes de Cro-Magnon. Eh bien, une chose est sûre, ils avaient de bonnes dents ou alors, Mémé nous avait refilé une vieille carne. Il était coriace le bestiau, qui l'eut cru, noir comme il était. Après on s'est fait une ventrée de mirabelles, parce qu'elles nous tendaient les bras. C'était donc le ventre plein, que nous allions évoquer les esprits des indiens damériques.
Tifer avait vu son tonton Adrien le faire, et comme il avait l'esprit vif, il a fait exactement la même chose, il a commencé par mordre dans un bout.
- C'est pourquoi faire, que je lui dis ?
- C'est pour l'aération, qu'il me dit, un cigare faut qu'il respire, après il faut qu'il chauffe, alors il a pris une allumette et il a chauffé le cigare, et après il l'a allumé pas du côté où il avait mordu.
- Tu comprends, qu'il me dit, ça, je l'ai pas vu faire, mais sinon, je pense qu'on a tout le tabac dans la bouche, on va quand même pas chiquer, qu'il me dit.
Après, on a pompé chacun à tour de rôle, franchement, c'était dégueulasse, il faut bien le dire, mais on n’était pas des indiens damériques pour rien, on a continué chacun à son tour, la première taffe étant la plus dure parce qu'elle vous arrache les poumons.
Tifer, il a dit comme ça :
- C'est du bon, hein ! ( Teuf, teuf, teuf)
- Voui, mais avec la fumée dans les yeux, le goût, jamais j'aurais avoué même sous la torture que c'était le cigare qui me faisait cet effet-là. Je toussais moi aussi.
On a fumé le cigare à la même vitesse qu’on a mangé le lapin, il est parti en fumée comme qui dirait à la vitesse grand V. Vu qu'on avalait la fumée comme des grands, on a été malades comme des petits. D'abord on a commencé par tout vomir ce qu'on avait réussi à manger, mais après c'était le ventre. Ce qu'on avait réussi à sortir par le haut était déjà parti, mais il y avait tout le reste, ce qui était déjà descendu plus bas qui ne demandait qu'à sortir aussi, alors on a couru chacun dans une direction différente. Histoire de ne pas nous éclabousser l'un l'autre. Purée, quelle diarrhée ! Enfin la mienne, je suis pas allé voir celle de Tifer, mais vu la tête qu'il faisait...
On ne s’était pas loupés, c’est sorti plus vite qu’on aurait cru, après, à la réflexion, il y avait là comme une injustice, les vaches, elles se faisaient dessus, personne ne disait jamais rien. Nous, nous avons nettoyé nos slips dans l’eau de la source grâce au savon. On a sans doute aussi fait partie des premiers jeunes à courir cul nu dans les colchiques. Quelle journée mémorable. Le soir on a ramené les vaches, on avait les cacahouètes au frais, et quand mémé a dit : à table, eh bien moi je vous le dis... on avait faim.
3 – La carriole
S'agissait de ne pas s'ennuyer pendant ses vacances, mais avec l'autre rigolo, on s'ennuyait jamais et dans le genre "conneries" , on en avait à revendre. J'ai dit (des fois qu'il aurait pas compris, vu que même la télépathie avec lui, ça marchait pas des masses, on avait essayé, mais on devait pas être doués), j'ai dit, faut qu'on essaye la carriole de Pépé dans la descente de chez la Olga.
- Et comment qu'on va faire ? qu'il me dit.
- J'ai ma petite idée, mais faut pas avoir les foies... que je dis.
- Chez la Olga qu'il me fait, c'est monstrueux, la côte... Même que la Olga qui devait bien peser son quintal, elle ne sortait pas beaucoup, alors Mémé, elle disait comme ça :
- Allez voir si la Olga, elle pas besoin de quelque chose... Parce qu'à l'époque on se donnait la main. Alors nous, pauvres bougres, on se tapait la montée pour aller chez la Olga, pour lui demander si elle avait besoin de rien.
Parfois, elle avait besoin de rien, mais parfois elle avait besoin de pleins de trucs, alors on prenait la carriole pour aller jusqu'à l'épicerie pour lui prendre ses six bouteilles de Kiravi, le rouge qui tache, plus tout le reste, vache, elle avait un appétit celle-là. Valait mieux l'avoir en photo qu'à table. Moi je vous le dis. Alors nous voilà à grimper la côte pour aller chez la Olga, mais Tifer, il a dit comme ça :
- Vaudrait mieux qu'on monte pas jusqu'en haut parce que si elle nous voit, va encore lui revenir quelque chose à l'aut' folle.
- Ce n’est pas faux.
Y venaient de refaire le chemin, c'était pas du macadam, c'était comme qui dirait maintenant pétouillé. Avec du gros gravillon bien de chez nous, estampillé Ponts et Chaussées. Mais la pente y était quand même.
- Et comment qu'on va guider ? qu'il me dit l'autre, prêt à rebrousser chemin, vu qu'il pensait que je n’y avais pas pensé.
- Faut donc que je t'explique tout, que je lui dis, tu n’as pas encore compris la manoeuvre ? Je vais m'asseoir devant, toi derrière pour équilibrer, tu fais tout pareil que moi, tu te penches tout comme moi. Pour l'instant, tiens la carriole sinon elle va foutre le camp toute seule.
Alors, je me suis assis dans la carriole et j'ai passé les jambes par devant pour tenir le timon, comme ça on pouvait guider l'engin, mais pour le moment je posais les pieds par terre pour laisser le temps à l'aut' mariole de s'installer.
- T'es sûr qu'il me fait ?
P'tain, j'étais sûr que d'une chose, c'est qu'on allait bien se marrer. Dire que c'est allé vite, c'est même pas imaginable de le raconter, on a pris tout de suite une de ces accélérations que même mon père dans sa Dauphine, il a jamais eue. Tourner avec le timon, c'était facile, un peu casse-gueule, mais facile tout de même.
Le problème c'était plus tôt la vitesse, vu que dans mon raisonnement il manquait la pièce principale, le frein. En bas de chez la Olga, y avait un stop, le seul de tout le bourg. Eh bien celui-là, il nous a vu passer. Nous aussi d’ailleurs, on l'a vu passer. Les quatre paysans qu'y avait sur le pas de la porte du bistrot qui était en face de chez Pépé et Mémé, y nous ont vu passer aussi, c'est c**, parce que sinon, y aurait pas eu de témoins. P'tain, on a franchi la Nationale comme qui dirait des boulets de canon, pour finir dans la rivière aux vaches, là où elles allaient boire lorsqu'elles avaient soif, vu que le bistrot leur était pas ouvert.
- Franchement, c'était casse-gueule, ton truc, qu'y me fait Tifer.
- Franchement, t'as raison, que je lui ai dit.
Avec les témoins, Mémé et Pépé, ils nous ont sorti de l'onde vagabonde, mais qu'est-ce qu'on a pris... On n’a pas été sourds, même si on ne comprenait pas tout du patois. Et la Nationale, et le stop, parce qu’on ne rigolait pas avec le stop que Monsieur le Maire avait placé là, tout exprès. Pépé et Mémé étaient heureux de leur stop, c'était un peu comme qui dirait qu'il leur appartenait. Alors si nous, petits cons qu'on était de la famille, on commençait à leur mettre la honte....
4 – Le vélo de Pépé
Mais la carriole, ce n’était pas le plus rigolo, casse-gueule certes, mais pas le plus rigolo. Après cette engueulade mémorable, qui a fait le tour du village à la vitesse du téléphone arabe, on était devenus comme qui dirait des casse-cous.
Y avait une certaine part de gloriole, donc fallait qu'on trouve quelque chose qui allait laisser un message fort dans la populace du bourg. Ça a été le vélo de Pépé. Le vélo de Pépé, qui était à lui seul destiné, avait une de ces selles. On ne pouvait pas attraper d'escarres, comme on dirait aujourd'hui. Une bonne selle en cuir qui couvrait la largeur du fessier, pas comme aujourd'hui lorsque tu t'assieds sur un vélo, t'as l'impression que t'as la selle qui se coince dans ta raie culière. Non, une vraie de vraie. Avec des ressorts sous la selle, tout le confort quoi. C'était une Peugeot, et le Tifer, il en pouvait plus de me dire que Peugeot y touchait à tout, ce n’est pas comme Renault. Alors comme il me pompait avec son Peugeot, je lui ai dit texto, Peugeot y touche même au cul. Voilà, c'était dit, fallait que ça sorte.
On avait un vélo pour trois. C'est-à-dire qu'avec le pépé, ça faisait trois. Mais ne fallait surtout pas qu’il sache qu'on allait faire du vélo avec le sien.
Pour visualiser le vélo de Pépé, faut dire que c'était encore un de ces vieux vélos que tu ne soulevais pas de terre. Avec un frein. C'est la première chose qu'on a regardée avec le Tifer, voir s’y avait un frein. Et progrès du progrès c'était pour ainsi dire pas de la merde. Il achetait le haut du pavé. C'était un frein à pédales. Rétro-freinage. En fait, il suffisait de ramener les pédales en arrière pour que l'engin freine. Si ça, ce n’était pas du progrès ? Derrière le vélo du pépé, il avait accroché deux sacoches pour faire l'équilibre comme il disait, avec une seule sacoche, ça faisait dépareillé. Quitte à investir autant y mettre le paquet, comme qu'y disait souvent.
Alors moi, je m'asseyais sur les sacoches et le Tifer y pédalait. Faudrait pas tout de suite croire que j'étais fainéant, non, mais j'avais poussé comme une asperge, et mes muscles s’étaient perdus en route. C'est pour ça qu'on était au grand air. Comme disait Maman : va te ressourcer, Chéri. Vu qu'on avait déjà terminé une fois dans la rivière, elle n’était pas loin de la vérité.
On allait faire du vélo de l'autre côté de la colline, là où paissaient les vaches qui nous voyaient passer l'oeil torve, parce qu'on faisait : Tchou, tchou, comme les locomotives, la fumée en moins. Parce que le cigare, on n'y avait pas retouché non plus.
Mais à un moment ou à un autre, fallait bien rentrer. Alors en haut de la colline, le Tifer, il a dit comme ça, on n'a qu'à foncer, comme ça ils ne nous verront pas, on passera comme la micheline. Vu comme ça, on faisait dans le furtif.
Au premier nid de poules, la chaîne a sauté avec nous, sauf qu’elle, elle a sauté du plateau arrière, et que nous on n’a rien remarqué. Le Tifer, y se penchait en avant comme l’Anquetil, et moi tout pareils comme le Poulidor (toujours deuxième), mais j'avais le nez dans son short, on passait à côté des tas de fumier dont on respirait le bon air de la campagne, presque j'aurais pu croire le Tifer il avait pété et que les effluves remontaient.
Le Tifer, y pédalait en arrière de toute la force dont il disposait dans les jambes, histoire de ralentir un peu, vu qu'on devenait trop furtif à ses yeux. Moi, je ne voyais rien, mais je n’en pensais pas moins. C'était l'heure où les gens allaient aux vêpres, détail que nous on avait un peu oublié. Le pépé et la mémé nous ont vu passer, ainsi que quasiment tout le village, z'auraient pas dû.Vu qu'on était furtifs comme Zorro.
Le tout s’est terminé dans la rivière aux vaches. On avait un cul bordé de nouilles, c'était la deuxième fois qu'on terminait dedans et qu'y n’y avait pas de vaches.
5 - Noël
Avant d’arriver à Noël, il y avait le Saint Nicolas, avec le père Fouettard. Mais je saute à Noël, parce que je me souviens d’un détail qui me revient à l’esprit saint. La Noël dans l’Est se fête le 24 au soir. On mange, on ripaille, et on va à la messe de minuit. Lorsque je parle de la messe de minuit, ce n’est pas celle d’été à vingt-deux heures trente, mais celle de minuit.
Le père nous faisait une vraie crèche, avec un âne, et tout le bataclan qui va avec, des mages, la Marie et le Joseph. On allait à l’église St Rémi de Forbach. Purée, un de ces mondes. À croire qu’ils avaient tous envie d’aller à la messe. Faut dire que ça caillait un max quand même. Rien à voir avec, là, où le petit Jésus est né. On serrait les rangs, pour se garder chaud. Avec le Tif, on avait bien mangé, du gigot d’agneau avec de l’ail, et des fayots blancs qui baignaient dans la sauce. Vu que les parents nous avaient à l'oeil, y z'avaient mis le Tif devant moi, pour dire que la confiance régnait. Après, tous les salamalecs, debout assis, debout, assis, le curé a dit :
- Et maintenant mes frères, priez en paix !
Faut croire que le Tif, il n’avait pas compris le dernier mot, parce que dans le silence de la nef, il a lâché le pet du siècle, pas un silencieux, mais un d’un cor de chasse. Faut dire que c’était tellement merveilleux que j’ai éclaté d’un rire cristallin. Je crois ne pas avoir été le seul, mais c’est encore le mien que l’on a le mieux entendu. Un de ces fous rires que j’étais obligé de sortir….
6 – Travail de bagnards
- Tu vois, que je lui dis, dans la poule tout est bon, sauf les plumes.
- Purée, je ne comprends rien, on a autre chose à faire que de plumer les poules, dit le Tif
- Et puis l’eau, hein, l’eau, qu’est-ce qu’elle chaude. ..
- Et pis, si ça se trouve, elle n’a jamais pris de bain non plus, cette poule, dit le Tif
Tonton Marcel, y dit comme ça, les poules, faut que ça prend un bain tous les jours, sinon, ça sent la marée.
- Il est pêcheur ? qu'y me dit, le Tif.
- Une truite de temps en temps…
- Elle sent quoi, la tienne ? dit le Tif .
- Elle sent la poule mouillée, que je lui dis.
- La mienne, elle ne sent plus rien, vu qu’elle a pus de tête, dit le Tifer .
- T’as vu le trou de balle ? que je lui dis.
- Montre !
- Regarde la tienne, elles ont pas un trou de balle pour deux, à c’que je sache.
- T’es chiant, parfois, qu'y me dit.
- Regarde, t’arraches les poils comme ça, que je le lui dis.
- Les plumes !
- C’est pareil, tu crois qu’elles font la différence, elles ? Et hop, t’as le trou de balle !
- Et le coq, alors, il fait comment ?
- T’n’as jamais regardé ? Il se baisse, il tourne autour, il scrute, il regarde bien, parce qu’il faut la trouver, l’ouverture, c’est-y pas donné à tout le monde de sauter une poule, que je dis.
- Et vu qu’il n’a pas de main.
- Il y va à tâtons.
- Et comment qu'y sait ? dit le Tif.
- Ça doit être imprimé quelque part dans leur cerveau. Vous êtes ici. Alors, il y va direct, vu qu’il a vu la pancarte. Doit lui envoyer un oeuf qu’il est encore tout petit, genre tu vois, minuscule, avec le bout.
- Ça se tient comme explication, dit le Tif.
- On sera des scientifiques plus tard, on a des explications pour tout, que je dis. Après l’oeuf y grandit dans la poule, et quand y a plus de place comme chez Tata Éliane, hop, l’oeuf y sort.
- Elle doit en chier la poule, qu'y dit le Tif.
- J’ne te dis pas l’oeuf de Tata Éliane, si elle a le même trou de balle que ma poule…
- Ça déchire grave, dit le Tif en hochant de la tête.
- Tu te rends compte de ce qu’on arrive à faire avec nos zizis, quand même, que je lui dis.
- On a des zizis comme les cous de poulet, alors dit le Tif.
- Eh oui, ça demande qu’à grandir, que je lui fais.
- Avec les plumes en moins, dit le Tif.
- Et le bec.
- Et la crête, dit le Tif.
- Attends, je te montre, regarde-z-y bien, tu vois, nous aussi on a une crête.
- Va-z-y, tire-z-y dessus pour que je me fasse une idée.
- Voui, mais faut le dire vite, alors... Nous, on a une crête ronde….
7 – L'atelier de Pépé
Entre la chignole, les marteaux, celui du forgeron, du maçon, du maréchal-ferrant, du maréchal Pétain, celui du chaudronnier, et puis les scies, la scie égoïste, celle à cadre, la scie à dos, et je t’en passe et des meilleures, y avait aussi les clous, les vices. Des clous, y en avait des tonnes, et des grands, des petits, des lourds, des légers, des qu'avec tu te tapais sur les doigts, t’y avais la caverne d’Ali Baba.
Y avait des haches comme qui dirait qui venaient de chez les hommes de Cro-Magnon, qu'y disait, le Tif, tellement tu n’arrivais pas à les soulever. Même qu’à deux, on n’y arrivait pas. C’est te dire que le pépé, y devait la garder en souvenir, parce que lui avec sa canne, c’est sûr, elle allait prendre racine.
Alors qu’un jour que le tonton Marcel, il était là, on a dit, comme ça, qu'y faudrait peut-être envisager de construire la maison des oiseaux pour l’hiver, vu que la dernière, elle était toute pourrie. Alors Pépé l’a dit comme ça :
- Accompagne-les, sinon, y v’ont me foutre le bazar.
Franchement t’aurais vu l’atelier du pépé, c’était le bazar de toutes façons. Une meule de foin n’y aurait pas retrouvée son aiguille, qu’il disait le tonton Marcel.
Alors avec le Tif, on a bien regardé, parce que l’année prochaine, peut-être que c’était nous que l’on l’aurait faite, cette cabane pour les oiseaux. Cette année, c’était encore loupé, à cause que tonton Marcel, il était venu chercher des oeufs avec sa quatre-chevaux. Alors il a pris des planches, on a coupé parce qu’on était ses esclaves, toujours, quand il était là, lui, fallait qu’on coure tout partout. C’est pas parce qu’il était gros qu'y pouvait pas marcher. Comme dit le Tif, ça lui aurait fait plus de bien qu’à nous. Alors comme ça, une fois qu’on avait tout coupé c’qu’il fallait coupé, il a dit comme ça :
- Où-ce qu’il a mis le niveau à deux bulles, le pépé ?
Avec le Tif, on s’est regardé, nous on l’avait pas pris, c’est sûr.
- C’est toi, le Tif, qui a pris le niveau à deux bulles, qu’il a dit en clignant des yeux ?…
- Ah, non, hein, dès qu'y manque quèque chose dans ce fatras, c’est sur moi qu’ça tombe, qu'y dit le Tif.
- Alors c’est toi, le Pat !
- Moi et la bricole, tu sais, Tonton, ce n’est pas trop mon truc, j’aide, parce que j’aime les pioupioux, mais c’est tout…
- Allez demander au pépé, s'y sait, lui, où est le niveau à deux bulles, lui saurait le trouver dans son bordel.
Ni une ni deux, on fonce chez le pépé, et on lui demande ousque’il a mis le niveau à deux bulles ! Pépé, y se frotte le menton, et pis y réfléchit longuement, il crispe les mâchoires, et pis y dit comme ça :
- Je crois bien que j’l’ai prêté à l’Alphonse.
Ni une, ni deux, on fonce chez l’Alphonse, et on lui demande qu'y nous rende le niveau à deux bulles que le pépé, y lui avait prêté… Alors v’la-t-y pas qu’il s’assied, y se frotte le menton, crispe les mâchoires et y dit comme, ça, je crois bien que j’l’ai prêté à l’Auguste, qu'y dit.
Ni une, ni deux, on fonce chez l’Auguste, un peu moins vite quand même, qu'y dit le Tif, on fait que monter et descendre, je sais pas si t’as remarqué, mais une fois c’est la ferme dans le trou, une autre fois c’est celle qui est sur la colline. Y a pas le feu…
On a fini par marcher, parce que ce p’tain de m’rde de niveau à deux bulles, ils se l’étaient prêté les uns les autres. Mais dans le bourg, on se donnait la main, c’était chose courante. Pas comme aujourd’hui où tout le monde est égoïste. Ce niveau à deux bulles était même allé chez l’Olga, qui se souvenait même pas à quoi ça ressemblait, alors dans le doute, en début de soirée qu’on avait couru toute l’après-midi, elle a dit comme ça, :
- J’ai bien donné un outil au Gaspard qui descendait au bourg avec sa Motobécane bleue, mais chais point si c’était le niveau à deux bulles.
Avec le Tif, on est rentré la queue entre les jambes, remarque je ne sais pas pourquoi on dit ça, vu qu’elle ne peut pas être ailleurs, faudra demander à la maîtresse, elle, elle saura. Z’étaient déjà tous assis sur les bancs et les chaises devant la maison, en train de boire la tisane pour les mémés et le p’tit coup de rouge pour les pépés.
J’ai dit comme ça, que le niveau à deux bulles, ben, fallait mieux pas le prêter, parce que si ça s’trouvait, il était en Chine maintenant. Alors z’ont tous éclaté de rire à en perdre leurs dentiers. Tout le bourg qui était là, z’ont rigolé à se décrocher les mâchoires, et le pépé, il a dit comme ça que tonton Marcel, c’était un farceur, parce que le niveau à deux bulles, il n’a jamais existé…
Tif après, il a dit comme ça : on est quand même cons, parce que dans un niveau à bulle, pouvait pas y en avoir deux… Mais qu’est-ce qu’on a bien dormi….
8 – Un travail d'hommes
- Eh, les morveux, on va faire un travail d’hommes, qu’il cria dans les escaliers, Pépé. Un peu plus, il perdait son dentier qu’il lui avait coûté la peau du cul, comme disait Mémé.
- Un travail d’hommes, qu'y disait Tifer, un travail d’hommes, tu parles, on est que des moitiés.
C’est le cheveu en bataille qu’on est allé petit-déjeuner. Mémé, elle a dit comme ça :
- Allez quand même vous passer un coup d’eau sur la figure.
Mais la salle de bain n’était pas chauffée, alors le coup sur la figure, ça allait vite. Pour ne pas en prendre trop de l’eau, parce qu’à l’époque, il fallait faire attention d’en laisser aux bêtes, on écartait les doigts, comme ça on était sûr que les bêtes en auraient assez. Mémé, elle venait prendre le broc ensuite pour donner aux plantes. Pas de gâchis parce que les plantes, elles nourrissaient les lapins.
C’est donc fraîchement et peu lavé qu’on s’asseyait à table, le nez dans le bol de lait, et la tartine juste à côté. Des tartines comme ça, on n’en avait pas en ville, les tartines de Mémé, elles étaient aussi longues que nos avant-bras.
Et le beurre, eh bien, c’est pas difficile, on mordait dedans, si ma mère elle avait vu ça, elle serait tombée raide. Mais vu qu’elle n’était pas là, Mémé en profitait pour nous dire qu’on allait devenir des hommes. Moi je dis que Mémé, elle avait des dons de clairvoyance, parce que lorsque je regarde le Tifer d’aujourd’hui et moi aussi, y pas de doute, on n'est pas devenu des femmes.
Le progrès était en marche, et nous on suivait, hein Tifer ! Tifer, y pouvait pas me répondre parce qu’il mangeait toujours comme s’il avait le ver, qu'y disait pépé. On comprenait pas tout, mais après j’ai chopé Tifer pour qu'y me dise de quel ver y s’agissait, mais lui il a dit comme ça,
- Chais pas, mais c’est le mien. Ça m’a mis la rogne, parce qu’avec Tifer on partageait tout, alors que lui ait un ver et pas moi, c’était pas logique, alors je décidais de manger au moins autant que lui à table, et pis un jour Mémé a dit :
- Voilà-t-il pas qu’ils ont un ver tous les deux !
Voilà, c’est comme ça que j’ai eu un ver pour moi aussi. Sauf que lui, y grossissait et que moi je grandissais. Ça ne devait pas être le même ver.
Après qu’on avait bien mangé et qu’on était bien lourd, Pépé l’a dit comme ça, on va enfumer. Tifer, tout de suite ça lui a mis la puce à l’oreille, et y m’a dit comme ça :
- Faudrait pas qu’on refume, vu que ça nous a pas réussi la dernière fois, alors moi j’ai opiné de la tête comme Einstein, qu’on avait vu une photo dans le catalogue des Manufactures de Saint Etienne que le pépé et la mémé recevaient régulièrement. C’était une mine d’or, ce catalogue, et avec Tifer lorsqu’on jouait pas aux dominos, on regardait le catalogue pendant les longues soirées, lorsqu’on jouait pas au rami avec mémé et pépé. Parfois on jouait aussi au jeu des sept familles, ou au tas de m****. Mais je me souviens plus très bien des règles.
D’ailleurs, il était question de merde on allait enfumer les champs comme qu'y disait, Pépé. Alors, fallait nettoyer les étables pour en ramasser un maximum. Tifer, il a dit comme ça, :
- Cette brouette, elle a été fabriquée par les hommes de Cro-Magnon.
T’aurais vu la brouette, t’aurais compris l’allusion. À elle seule, elle pesait déjà mon poids, plus la moitié du Tifer. Tout en bois de par chez nous, du solide, parce qu’il y avait pas marqué l’âge, mais du temps des cavernes, elle devait déjà servir. Le pépé nettoyait les étables et la brouette elle devait aller de l’étable jusqu’au tas de fumier qui était devant la maison.
Deux heures plus tard, j’avais les bras deux fois plus longs et le Tifer, il était deux fois plus petit.
- Franchement, qu'y dit Tifer, je comprends pas pourquoi on n’installe pas des cabinets pour les vaches. Moi, j’avais rien à dire parce que ça tombait sous le petit coin du bon sens.
À midi, on a remangé pour quatre, parce que la merde ça ouvre l’appétit. À peine on croyait qu’on allait pouvoir se sauver parce qu’on avait des choses à faire, que déjà Pépé qui nous surveillait du coin de l’oeil, il faisait ça très bien, tu croyais qu’il dormait, mais il avait un oeil ouvert, moi, il faut que je ferme les deux yeux pour dormir, mais pas lui, il dormait d’un oeil sur le sofa, pour la digestion qu’elle disait Mémé, eh bien hop, il a crié :
- Oh oh, où qu' vous allez tous les deux ? Reste encore à enfumer.
J’ai dit comme ça :
- Mais on a déjà enfumé le tas de fumier ce matin.
- Ce matin, qu'y dit, on a nettoyé l’étable, cette après-midi, on va enfumer. Je vais atteler les vaches.
- Vache, on n’a pas de cul, qu'y dit Tifer.
- Moi, j’ai dit, je vais au petit coin!
Mémé, elle a dit, laisse-le aller, on n’est pas à cinq minutes près. Alors je suis allé faire ma grosse commission dans la remise au fond du jardin, on était vachement bien installé. T’arrivais dans une cabane, y avait une genre de commode, mais sans les tiroirs, avec un superbe trou avec un superbe couvercle que Pépé il avait fait, des fois que le caca, il aurait voulut ressortir. On ne sait jamais.
Et puis y avait toujours à lire, bon, les nouvelles n’étaient pas fraîches, faut dire que l’environnement ne sentait pas la rose non plus, mais on s'y sentait bien (le terme est mal choisi), on était à l’aise, quoi.
Dans les nouveaux cabinets qu’ils font à la ville, tu peux pas écarter les jambes, mais là, tu pouvais faire le grand écart si tu voulais, ou si tu pouvais. Ensuite t’attends que la crotte elle tombe, mais ça faisait jamais de bruit, c’était embêtant parce que tu étais pas sûr qu’elle s’était détachée, vu qu’à la ville, ça, tu t'en rendais compte quand même.
Après, une fois que tu étais a peu près sûr qu’il y avait plus rien d’autre qui allait sortir, t’arrachais un bout de papier journal, et tu te torchais correctement, une pelletée de sciure de bois, et le tour était joué, restait plus qu’à refermer avec le couvercle du pépé dont la poignée avait été patinée par le temps. Ça me chagrinait pas, parce que mon caca allait rejoindre tous les autres, il était pas tout seul dans le noir.
Tifer, l’était déjà sur la charrette, et Pépé actionnait un grand bras en ferraille avec au bout des grosses griffes qui venaient se refermer dans un bon paquet de fumier. Ensuite, il fallait guider la griffe jusque sur la charrette, et ouvrir la griffe, et sauter sur le côté parce que sinon, t’en avais plein les bottes. Tifer, il avait déjà enlevé ses bottes trois fois, maintenant il en avait marre, il a dit comme ça,
- Ça ne peut pas puer pire que tes pieds !...Parfois, il me faisait rire de bon coeur. Une fois que la charrette, elle était pleine, il faisait presque nuit, alors Pépé, il a dit comme ça.
- C’est bon, les morveux vous pouvez aller jouer, demain, c’est l’Alphonse qui viendra me donner la main. Vous avez bien travaillé, allez voir la mémé, elle a peut-être quelque chose pour vous.
On a chacun eu un Malabar et un Carambar. Des trésors. Un Malabar et un Carambar chacun. On n’a pas mangé tout de suite, fallait d’abord manger avec les yeux….
9 – La fête foraine
La fête au bourg, c’était avant tout les forains. Ils venaient s’installer sur la grande place de la mairie et investissaient toutes les rues possibles et imaginables.
Pépé, y disait qu'ils venaient nous tirer le sou de la poche. Le sou qui lui servait au bistrot d’en face.
Mémé, les parents, les tatas et les tontons, y nous refilaient toujours le franc vaillant. C’est qu’avec le Tif, fallait qu’on essaye tout. À celui qui rattrapait la fanfreluche qui nous sautait par-dessus les têtes, j’étais comme qui dirait encore le mieux placé, j’avais le bras long qu'y disait le Tifer. Alors à tour de rôle parce que c’était mon pote, il faisait un tour, après c’était moi. Et les avions, qu’est-ce qu'y montaient haut. On aurait pu, si on avait voulu, décrocher la lune, mais le Tif y disait comme ça,
- Y a que toi, le Pat, qui peut la décrocher, c’est encore toi qui a le bras le plus long. Y déconnait grave.
Et les voitures, c’était trop génial, tu tournais à droite, la voiture continuait de tourner à gauche, le Tif y disait que les forains c’étaient des manches en mécanique, n’y touchaient pas un pet. Y avait aussi des motos, des camions de pompiers, et des chevaux. Les chevaux en bois, hein, pas des vrais.
Mais ça c’était le dimanche, le samedi soir fallait qu’on aille prendre le bain. Une corvée, cette flotte. C’était un rituel, où que tu ne « pusses » pas, comment dire, échapper. La mémé entretenait le feu, avec du hêtre, le même bois qu’on mettait dans le fumoir pour les jambons.Y régnait dans cette salle de bain, comme qui dirait une odeur de cochonnailles.
À mon avis, on devait être sale tout pareil. Toute la semaine, on s’encrassait correctement pour que le samedi soir, on sache pourquoi on prenait le bain. Remarque, on lavait vachement moins que maintenant, aussi. Surtout nous. Surtout moi, c’est bien simple, je n’ai jamais lavé. C’était un truc de bonne femme, ça. Fallait voir comme c’était chiant.
D’abord, t’allais jusqu’au lavoir avec la brouette de Cro-Magnon, une autre, hein ! Pas celle qui servait au fumier. Et pis, elles y allaient en convoi, c’était l’heure à ce qu'y paraît, alors t’avais un convoi de brouettes qui arrivaient avec un paquet de linge, mais, j’te jure, y avait de quoi laver. Y avait du monde au lavoir, je n’ai jamais vu aucun mec.
Nous, on devait pas avoir les gènes. Les mecs, z’étaient tous au bistrot, y s’rinçaient les amygdales, comme qui disaient.
Avec le Tif, on se rapprochait jamais trop, des fois qu’elles z’auraient eu besoin de nous, on sait jamais. Qu'elles nous auraient trouvé les gènes. Avec le progrès, à ce qui paraîtrait, on les aurait aussi !
Faudrait voir à ce que ça devienne pas une généralité. Moi, perso, j’ai lavé une fois les rideaux à 90 °, purée, le jus il était noir, il était temps de les laver. C’est la seule fois où je me suis servi de la machine, mais ça m’a coûté bonbon d’en racheter d’autres. Ils ne couvraient plus qu’un tiers des fenêtres, ça partait pourtant d’un bon sentiment. C’est un truc de femme, on ne m’enlèvera pas ça de la tête.
Donc, avec le Tif, on était dans la salle de bain ensemble, pour ne pas gâcher l’eau, vu que moi, je serais pas rentré dans son eau après, et lui tout pareil, y serait pas rentré dans la mienne, vu qu’elle avait changé de couleur.
Le brouillard qu'y avait dans la salle de bain, inimaginable, on avançait à tâtons. Et l’eau, je me rappelle de l’eau, pire que pour le cochon, qu’est-ce qu’elle était chaude... Fallait rajouter de l’eau froide, tellement elle était chaude.
Alors, voilà-t-il pas que je suis dedans enfin, et que le Tif, il enjambe la baignoire, je lui dis comme ça :
- Attends, que je lui dis, y a quelque chose d’écrit sur le cul. !...
- Mais je n’ai rien d’écrit sur le cul qu'y me dit, comme ça !
- Si, si attend, je lis : On assiste à une accentuation de la désaffection des femmes pour leur presse, en 1973, la cause principale de ce déclin est la concurrence des autres moyens d’information : la radio depuis longtemps, la télévision depuis peu.
- Je te jure, je n’invente pas, avec quoi tu t’es torché, que je lui dis ?
- Avec le journal de Pépé, qu'y me dit, le Tifer
- Heureusement, que je lui dis, parce qu’avec Mémé, on se torchait avec les doigts.
10 – Pépé
Pépé, il était toujours au courant de tout. J'sais pas comment y faisait mais il connaissait un rayon sur tout ce qu'il fallait connaître. Normal, vu que lorsqu'il travaillait pas à la ferme, y travaillait pour EDF. C'est lui qui installait les fils en haut des poteaux en bois. Moi, je m'imaginais qu'y grimpaient comme les singes chez EDF. Je me disais que c'était pas la peine d'aller au zoo, vu que chez EDF, y z'avaient toute une équipe de chimpanzés.
On a été fort étonné de voir des trucs en forme de griffe avec des harnais pour les mollets. Le Tifer, y m'a dit comme ça :
- Ton pépé y fait dans la torture.
J'y ai dit que c'est pas vrai, la seule torture qu'y faisait, c'était aux cigarettes qu'il se roulait tout seul, vu que lorsqu'il l'allumait y avait déjà la moitié qui partait en fumée, l'autre moitié elle servait plus qu'à roussir la moustache.
Alors on est allé voir Pépé qui bêchait, et qui disait que la terre, elle était plus ce qu'elle était avec tous les produits qu'on y mettait. Mais nous, on n'y mettait rien que le compost du jardin, le fumier des vaches, et parfois du crottin de cheval de Papa. Fallait juste faire attention de pas trop mettre de crottin de Pompon, parce que sinon, ça brûlait tout, le crottin de Pompon.
- Et pourquoi c'est faire les griffes ? dit Tifer, que ça le travaillait quand même, alors que moi, j'avais déjà complètement oublié pourquoi qu'on était là.
- C'est-y pour grimper aux arbres, qu'y dit, Pépé, avec ça, tu grimpes partout, bonhomme. Mais non, bande de morveux, c'est pour accrocher les câbles électriques et pour réparer les isoloirs en porcelaine que des crétins comme vous, bousillent avec des lance-pierres.
Les morveux, c'était nous...
C'était une idée qu’elle n’était pas encore venue au Tifer, parce que les cerisiers c'était casse-gueule quand même, de grimper aux poteaux avec les griffes du pépé. Et c'était une idée qu’elle ne m’était pas venue non plus, de bousiller les isoloirs avec un lance-pierre.
Pépé, c'était une mine de science pour nos conneries. Fallait juste demander à la bonne personne, après, nous, on faisait le reste.
11 - Le poteau
Une fois qu'on avait bien mangé, et parce que la froidure, elle tombait et que les chambres étaient pas chauffées, Mémé prenait les bouillottes en cuivre pour les poser au fond du lit, juste sous l'édredon pour pas qu'on ai froid aux pieds. On montait le pot de chambre en porcelaine avec des motifs de fleurs, même que chez tonton Edmond, y avait un oeil au fond du pot.
Jamais compris pourquoi ! Après fallait grimper sur le lit. C'était quelque chose ces lits-là. C'est pas comme aujourd'hui ou que quand tu t'assois, tu tombes dans le lit, là tu tombais pa,s t'étais juste adossé, mais faut dire qu'on était encore petits, enfin surtout Tifer, moi, j'avais la pointes des fesses qui touchaient presque en haut.
Enfin, quand je dis la pointe, c'est pas comme chez les filles, hein, je veux dire l'arrondi, et une fois qu'on était bien au chaud, c'est à dire lovés comme des petits chiots, que la chaleur s'était bien diffusée, c'était à ce moment-là que t'avais envie de faire un pissou. C'est con, hein ?...
Très con, parce qu'il avait pas moyen de s'endormir avec cette envie, alors fallait sortir un bras et chercher dans la nuit noire où était le bout de ficelle qui traînait quelque part au niveau du ciel de lit. C'était un fil électrique gainé de tissu rêche, avec au bout un interrupteur de la taille d'un petit ?uf noir allongé. Avec de la chance tu le trouvais assez rapidement et tu n’étais pas complètement gelé. Fallait quand même sortir du lit pour pisser.
En été, c'était mieux, avec le Tifer on ouvrait la fenêtre de la chambre on montait sur le rebord et on pissait dans la petite cour qui était juste derrière la maison. C'était vachement rigolo. Mais en hiver, ça l'était vachement moins.
T'avais intérêt à tenir le pot, parce qu'il faisait tellement froid que les trois-quarts tu pissais à côté, tellement tu tremblais.
Donc pour en revenir à ces fameuses griffes, le Tifer il a dit comme ça, on va monter au poteau comme pépé. Il était fêlé de la calebasse, le Tif...C'est facile, qu'il a dit, on a qu'à faire comme il a dit, on plante et on monte, tu plantes une fois avec la jambe gauche et ensuite tu plantes avec la jambe droite. Remarque, vu comme ça, c'était simple à imaginer. Donc on a choisi le poteau le plus haut pour se faire la main, le lendemain.
- J'y vais ou tu vas ? qu'il me dit, moi j'ai dit comme ça.
- Vu que c'est ton idée, on fait comme si c'était toi le premier, après je ferai tout pareil vu que tu m'auras montré.
- Vouais, qu'il a dit.
- J'y dis, oublie pas la ceinture, pour glisser derrière le poteau et la sacoche comme il a dit Pépé, c'est pour boire le coup quand il fait trop chaud. Faut dire qu'à l'époque les singes d'EDF, z'avaient toujours une grosse sacoche avec tout le barda, mais aussi le litron de rouge, pour faire passer la suée, comme y disait Pépé.
Alors Tif, l'a dit comme ça, s'il le faut, il le faut. Alors j'ai couru de toutes mes jambes jusqu'à la ferme pour prendre une bouteille de Kiravi, dans le casier à bouteilles qui était prévu à cet effet, c'est à dire pour les suées de Pépé.
Une fois que le Tif était prêt, il a dit, quand faut y aller, faut y aller. Il a planté la première griffe dans le poteau en bois. Apparemment ça tenait, y m'a dit :
- Tu vois ça marche, c'est pas la peine de se faire tout un cinéma, Pépé y radote parfois. Alors il a monté la ceinture de derrière le poteau, il a planté la deuxième griffe. On fait pour bien visualiser, c'était quand même une paire de griffes les unes au dessus des autres et de chaque côté, c'était pour ainsi dire du matériel professionnel qu'y z'avaient chez EDF.
Le progrès, toujours le progrès, on était quand même en plein bouleversement des données de la science. A mi-poteau, le Tif, il a eu sa première suée. Donc j'ai crié qu'il fallait peut-être qu'y biberonne un peu. Ce qui était bien avec les bouteilles de Kiravi, c'était qui n’avait pas de bouchon en liège mais une capsule en plastique. Heureusement parce que dans ma hâte, j'avais oublié le tire-bouchon.
Au trois-quarts, il avait sifflé la moitié de la bouteille, faut dire que le poteau devenait de plus en plus mince, et que les suées étaient de plus en plus rapprochées, il y avait là, une cause à effet que je m'expliquais pas, vu qu'il commençait à avoir l'entraînement, ses gestes étaient de plus en plus flous.
- Y a z'un machin ouseque j'ai pas pensé, qu'il me dit d'un coup, la langue comme qui dirait collée. Comment ce qu'on redescend ? qu'il me dit !
J'avais comme qui dirait le Tif, pas pensé non plus, vu qui a pas d'échelle ! On était dans la merde jusqu'au cou. Il était comme un chat en haut de l'arbre et il ne savait pas comment redescendre, et moi, j'étais le compagnon d'infortune qui devait aller chercher les autres, et surtout expliquer c'que faisait le petit con en haut du poteau bourré comme un poilu de la dernière guerre.
- Ne bouge pas que je le lui dis, je vais chercher de l'aide. Y risquait pas de bouger le couillon...
Je suis revenu avec le pépé qui faisait que gueuler, l'Alphonse qui était sapeur bénévole, et le petit Auguste qui était garde-champêtre. Quand on est revenu, le Tifer y chantait : C'est à boire qu'il nous faut, c'est à boire, c'est à boire, c'est à boire qu'il nous faut, oh oh ooohh.
Pépé, il a dit comme ça, on a qu'à le laisser là, jusqu'à demain matin. Alors Pépé, il a dit si ce n’est pas malheureux de voir ça. L'Alphonse il a dit comme ça, si c'est pas malheureux de voir les gosses d'aujourd'hui, qu'est-ce qu'y peuvent pas inventer comme conneries pour nous casser les couilles, qu'il a dit l'Alphonse, et le petit Auguste, il a dit comme ça, faut qu'on aille chercher la grande échelle.
Y z'ont jamais été petits, eux, ma parole ?
Alors on est allé atteler Pompon à la grande échelle qui était stationnée dans la cour de la Mairie, et après y a tout le bourg qu'est venu, même Mémé qui voulait pas qu'on lui fasse du mal à son petit, qu'elle considère comme mon frère. Alors avec Pompon, on est montés en procession comme qui dirait, y avait même le père Christophe et le bedeau, et les enfants de coeur qui revenaient d'un enterrement qui nous ont suivi.
Tifer, y s'est fait engueuler que le lendemain, parce que le même jour y avait rien à en tirer, vu qu'il était fin soûl. Je me suis fait engueuler pour deux, mais ça faisait rien, parce qu'y avaient sauvé mon copain, et qu'un copain, ben, c'est ce que tu as de plus précieux dans la vie. Mais quel con quand même.
Mais ce n’est pas pour dire, mais le lendemain, j'avais une autre idée...
Pour les conneries, y a pas à dire, on tenait le poteau comme y disaient au village.
12 – L'oeuf
Après le goûter qui nous avait ouvert l'estomac, on passait aux choses sérieuses : le dîner deux heures plus tard, parce qu'on mangeait tôt pour aller se coucher tôt, vu qu’on n’avait pas la télé. Y avait que les vieux qui s'installaient sur le banc devant la maison et qui sortaient les chaises de cuisine pour causer de la journée et des conneries que nous avions faites. Ça occupait les vieux et les vieilles du village.
D'abord une bonne assiettée de soupe aux légumes avec des bouts de lardons et une louche de crème fraîche, qui était sensée nous ouvrir l'appétit. Après, Mémé faisait revenir dans du bon beurre des tranches de lard du cochon qui avait rien demandé à personne avec une omelette, des oeufs que le Tifer y me demandait toujours comment elles arrivaient à sortir des oeufs pareils d'un si petit trou de balle. J'avoue que même pour moi, ça restait un mystère.
Un jour avec le Tif, parce qu'on était à court d'idées, ça n’arrivait pas souvent, on a mis l'oeuf à repriser dans les oeufs à ramasser. Mémé a dit qu'on était des bons à rien, mais qu'est-ce qu'on a rigolé lorsque la mémé elle a mis l'oeuf à repriser dans le coquetier du pépé. Alors avec le couteau, il a essayé de briser le haut de la coquille, et nous, mine de rien, on regardait avec le Tif que je le poussais dans les côtes et qu'on riait sous nappe.
Pépé, il dit à Mémé qui fallait qu'elle arrête le gros rouge qui tache parce qu'elle savait plus faire un oeuf mi-mollet, elle avait fait un oeuf dur. Alors il a essayé de le casser dans l'assiette, mais c'est l'assiette qui s'est cassée, alors il a dit comme ça, que l'assiette, c'était plus ce qu'elle était. Alors Pépé, il a dit comme ça, qu'il allait quand même pas se faire avoir par un oeuf !!! et il s'est levé pour aller chercher un marteau, alors Mémé, elle a remplacé l'oeuf à repriser par un vrai mi-mollet et quand le pépé il a tapé dessus, y en avait partout dans toute la cuisine. Alors Pépé, il a dit comme ça, rien ne vaut un bon marteau. Mais qu'est-ce qu'on a rigolé. On rigole bien.
13 - La dalle
Tonton, il a décidé comme ça, que finalement il allait prendre le terrain qui était juste en face du jardin qui était de l’autre côté du bourg. Il a dit, il me faut des hommes. Alors avec Tif, on s’est regardés, et on s’est dit que s’il nous envoyait chercher le niveau à deux bulles, il pouvait toujours courir.
Et pis finalement, non, il lui fallait vraiment deux hommes. Alors on attaqué les fouilles à la pelle. Au troisième jour, on sentait plus nos épaules, et on avait des ampoules tout pareilles, lui comme moi.
Il nous a fallu trois jours pour comprendre qu’avec des gants, c’était quand même plus aisé. Après, le week-end, y avait plus de monde, on se donnait la main pour la fouille. On casse-croûtait sur place, Mémé, elle venait avec la carriole, celle avec laquelle on avait plongé dans la rivière aux vaches, et puis on mangeait comme les grands, à coup de sauciflard, de pain, et de coups de rouge.
Fallait monter les parpaings, on était de la partie, fallait préparer le mortier, on mettait la main à la pâte. Le soir, on tombait dans le lit comme deux zombies. Et à six heures on était debout pour aller refiler la main. Au bout d’une semaine, j’aurais refilé la main à n’importe qui, pourvu que cela ne soit pas la mienne.
Puis il a fallu couler la dalle. Alors t’avais des planches qui partaient de la butte vers le premier étage, à l’époque on préparait le béton dans les premières bétonnières, c’était du costaud, t’aurais pu croire que c’était du matériel importé de Russie, tellement c’était rustique. Avec une bétonnière, tu remplissais une brouette. Fin du fin, c’était des nouvelles brouettes en ferraille, moins lourdes que celles de Cro-Magnon, mais avec des roues qui pesaient quand même un max.
Remarque, à l’époque on faisait encore dans le solide, et les mecs, s’étaient pas des demi-portions comme nous autres. Le pépé, il a dit comme ça,
- Mettez-y deux planches l’une à côté de l’autre, les petiots y vont pas y arriver !... Lui, y regardait, il était maître d’oeuvre comme qui disait. Tonton, il a dit.
- T’inquiète, y vont z'y mettre le coup de reins. Et nous pareils, on a dit tout pareil aussi :
- T’inquiète, on va z'y mettre le coup de reins. Les quatre premières brouettées, elles z'y sont allées comme qui diraient des lettres à la poste. La cinquième, j’ai failli me casser la gueule, à cause que ça commençait à glisser sur les madriers.
- J’ai dit, on fait une pause ? Malheur, qu’il a dit Tonton, la dalle, elle attend pas, faut que ça fuse, déjà qu’il faut la mouiller tout le temps, c’est pas le moment de baisser les bras... Je ne les baissais pas, y traînaient par terre. Le Tif il a dit comme ça :
- J’en ai ras le cul.
Mais la bétonnière, elle, ne s’arrêtait pas, alors on est reparti avec nos brouettes vides qui pesaient aussi. J’ai dit au pépé, mets-y que la moitié, tu donneras l’autre moitié au Tif, ça ira plus vite et on s’esquintera moins. Mais Pépé, il était devenu sourd comme un pot de chambre avec le bruit de la bétonnière, y m’y a tout mis, j’en avais autant sur le marcel qu’il y en avait dans la brouette, j’entendais le rire de l’autre couillon derrière moi, alors j'me retourne, et ma parole, j’ai failli verser dans le garage qui était un étage plus bas, et l’autre qui était plié en deux, ensuite j’y ai foutu son béton, au moins à deux mètres de là où il fallait le mettre, mon coup de reins vacillait, je sentais comme une faiblesse. Encore, je me suis fait engueuler :
- C’est-y pas possible de m’avoir foutu deux arpettes pareils, qu’il me sort le tonton.
Franchement, son béton, il allait pouvoir se le fourrer là où je pensais, je posais la brouette sur la tranche, et je lui ai dit :
- Va peut-être falloir ralentir le rythme parce que moi, j’en peux plus. Franchement, je me suis assis sur un parpaing, pour regarder le Tif qui arrivait avec sa cargaison. Il rigolait encore lorsqu’il a démarré avec la brouette, le rire c’est mortel, t’es comme qui dirait une lopette. Au premier madrier, la direction était déjà sinueuse, mais au second, j’ai vu le Tif disparaître avec la brouette, comme qui dirait happé par les profondeurs insondables du sous-sol.
Franchement, il aurait pu lâcher les poignées, s’en remettre à pas de chance, non, ce couillon, il a préféré se faire hara-kiri.
- P'tain, le Tif !!! y restait rien sur les madriers, il avait disparu comme englouti par la terre.
Un monde sans le Tif, c’est comme si on m’arrachait un bras, tout pareil. Je n’osais pas aller voir. Le pépé, y bougeait déjà au ralenti, le tonton, il est passé à côté de moi comme qui dirait un éclair. Quand j’ai enfin réussi à me mettre debout, y avait le Tif qui remontait la côte sans la brouette :
- P'tain, le vol plombé, qu'y dit. Faudrait voir a arrêter les conneries, j’aurais pu me tuer, j’ai eu de la chance qu’y avait un tas de sable là en-dessous.
Pour le béton, Tonton, tu peux commencer la dalle du garage. !!!
14 – Virée
Après, lorsqu’il faisait beau, y avait le tonton Marcel qui arrivait avec sa quatre-chevaux. Faut dire que la quatre-chevaux, elle ne tenait pas mieux la route que la Dauphine. Mais ça, c’était pas encore notre problème. C’était le beau-frère de maman, qui venait d’un bourg qui était à 30 km de là où en était en vacances chez Pépé et Mémé. Alors il arrivait, y klaxonnait et nous on était tout content.
Surtout le Tifer, qui disait comme ça, on va voir ta cousine, la belle Chris. Parce que le Tifer, il avait fait une touche avec la Chris. Faut dire que le Tifer, une fois qu’il avait sorti la moitié du tube de gomina du pépé, il avait les cheveux collés comme qui dirait Luis Mariano dans ses jeunes années. Les oreilles décollées, certes, mais un visage d'ange, on lui aurait donné le Bon Dieu sans confession, comme disait la mémé. On aurait dit un crâne d’oeuf, tout pareil. (タ mon avis)
Après on s’était mis de l’eau de Cologne que Mémé, elle avait en flacon de un litre. Je ne suis pas sûr qu’on sentait bon, mais ça couvrait les autres odeurs, surtout celles de mes pieds. Tifer, y disait que même lorsque l’édredon, il était posé sur mes pieds, ça passait encore, les effluves. Il est con, hein ? Moi, je ne sentais rien vu que c’était l’odeur de mes pieds, on s’habitue à la longue.
Vu qu’on n’avait pas de maillot de bain, c’est en slip qu’on a plongé, ça faisait toujours une lessive en moins pour Mémé. Parce qu’on allait à l’étang. C’est bien l’étang, parce que c’est les vacances et parce que tout ce que compte le canton comme ouvriers de base et de paysans et de paysannes, on se retrouvait à l’étang. On n’emmenait pas les vaches parce qu’il n’y avait pas la place dans la quatre chevaux. On finissait par s’attacher à ses petites bêtes, avec le Tifer.
C’est nous qu’on tirait le lait maintenant, on avait le coup de main, qu'y disait, le Tifer, on sentait bien que ça leur faisait du bien aux vaches, y aurait pas eu les queues à poils, on aurait pu dire que c’était plaisant. Mais une queue de vache toute remplie de bouse, ce n’est pas appétissant. Pépé nous avait cloué des clous sur la charpente, et avec le Tifer on attachait les queues au clou, après on avait un genre de tabouret avec un seul pied. Pépé nous avait fait des ceintures pour qu’on ne perde pas le tabouret chaque fois qu’on se levait, ça nous faisait comme une queue au cul, qu'y disait le Tifer. Il est con, hein ?...
Donc une fois qu’on était tous installés dans la quatre-chevaux, Tonton faisait tut-tut, et hop en route pour l’étang. On emmenait de quoi manger, oeufs durs, tranches de jambon fumé, pain de la campagne, et j’en passe… Une fois qu’on avait trouvé une place pour se garer, entre les Arondes, les Dauphines, les quatre-chevaux, des vieilles Juva quatre, les 203 toutes noires, des 404 pour le haut du pavé, on emmenait tout notre barda jusqu’à l’endroit que tonton Marcel avait déjà repéré, et qui comme qui dirait l’autre, nous était presque réservé.
Fallait gonfler les chambres à air. Tonton, y travaillait dans une usine de chambres à air, et Tifer disait qu’il avait du coffre, mon tonton, tous les jours à souffler dans les chambres à air, ça devait épuiser son homme, m'est avis que mon tonton, y soufflait plus souvent sur la mousse de son demi que dans les chambres à air, mais on n'était pas des fainéants dans la famille, même si la quatre-chevaux avait parfois du mal à retrouver le chemin du retour.
Donc, les chambres à air, ce n’était pas ce qui manquait de par chez nous. Tonton, qui n’était pas tombé de la dernière pluie comme qu'y disait souvent Pépé, il avait mis au point un système comme les houla-hop pour les bébés, on pourrait presque dire qu’il était le concepteur. Y avait comme qui dirait des génies dans la famille, mais qui s'ignoraient complètement. Il avait découpé dans une planche une selle plate, tout pareil que la selle de Pépé, mais sans les ressorts, et il avait fait un trou sur les trois côtés, ensuite il avait ficelé l’ensemble autour du boudin, ça fait que vu que c’était des chambres à air de camion, ben, tu disparaissais dedans, mais que tu pouvais pas te noyer vu que t’étais assis dedans.
C’était une très grande idée, qu’il a dit, Tifer, et comme c’était le tonton à moi, et que c’était le mari de la soeur de ma mère, quelque part ça me retombait dessus. Je sentais moi aussi que j’étais destiné à faire des grandes choses plus tard. J'ai vachement grandi.
Chris avait un joli petit maillot de bain, mais moi, c’était ma cousine et j’entrevoyais pas encore toutes les possibilités, mais je comptais bien sur Tifer pour apprendre. Lui, je sais pas comment y faisait, mais il avait une approche des filles qui était surtout à mon avis due à la gomina. Faudra que j’essaye. Y roulait des mécaniques comme Gabin qu'on avait vu dans la télé toute noire et pourrie de la mère Garnier, chez qui on allait chaque fois qu’on avait un creux. Le tilleul, on le foutait dans le rhododendron qu'y avait juste derrière nous, c’était pour ne pas la peiner, mais c’était infect. Mais le rhododendron et le tilleul, ça faisait pas bon ménage, il est mort, et madame Garnier qui avait pourtant la main verte avait dit comme ça qu’il était peut-être trop vieux pour écouter la télé, tous les jours. Toutes ces ondes, ça pouvait que lui nuire.
Alors nous, dans nos slips de la dernière guerre, eh ben fissa, on se mettait à l’eau. Mais les slips de coton y avait rien à faire, ça ne tenait pas à la taille une fois que c’était gorgé d’eau. Alors forcément ça glissait tout le temps et devant Chris, on chahutait, mais les mains sur l’élastique quand même. Et puis le Tif, ce n’était pas le dernier pour faire des conneries, à force de chahuter il a retourné le boudin, faut être fort quand même, et vu qu’il s’était pris les jambes dans les ficelles, il a failli mourir noyé, ce con. Alors, Chris lui a fait le bouche à bouche vu que tonton Marcel il était allé pêcher. Je lui ai quand même remonté le slip, devant une fille ça ne le faisait pas. On était tous les deux penchés sur son corps, mais Chris a dit comme ça : " Recule-toi, il lui faut de l’air. "
Y avait toute la forêt de Haguenau pour l’air, mais faut croire qu’il en avait pas encore suffisamment, il râlait comme s’il allait mourir tout de suite, mon petit Tifer, il avait la gaule, presque il aurait pu aller pêcher avec Tonton. Mais Chris ne le voyait pas de cette oreille, elle a dit comme ça : Faut que je lui fasse le bouche-à-bouche.
Alors Tifer, il a ouvert la bouche, vu qu’il n’était pas sourd, juste mourant. Tifer a dit comme ça que Chris réveillerait un mort. Parce que tout de suite après, il allait pour ainsi dire mieux. Moi, je pense comme ça, parce que c’est scientifique, ces choses là, je pense sincèrement que l’air qu’elle lui a envoyé dans les poumons, ça devait être de l’air oxygéné. Elle est forte, ma cousine Chris, c’est dans la famille, on doit tous avoir quelque chose qui nous fera avancer dans la vie.
Du coup, on a passé une bonne après midi, nos slips étaient propres, et Tifer était vivant. C’est quand même mon copain, je n’aurais pas voulu qu'y meure dans les algues de l’étang d’Haguenau.
Après, on est rentré parce que tonton Marcel il n’avait rien attrapé, juste un coup de soleil. Tifer, il a dit comme ça, faut qu’on recommence le plus tôt possible, vu qu’il voulait apprendre à nager, mais faudrait que Chris soit là, des fois qu’il y aurait besoin d’une infirmière. Tonton, il a dit comme ça, vous allez tous les deux acheter des maillots de bain corrects parce qu’il n’allait pas ressortir avec des paysans comme nous autres, parce qu’on avait tout le temps des algues dans le double fond. Tifer il a dit à moi, dans l’oreille, on avait peut-être des algues, mais la sardine frétillait… Je n’ai rien compris, mais vu qu’il a un an de plus que moi, il devait avoir ses raisons que j’ignorais encore, je voyais la sardine dans l’huile, moi...
15 - Les slips-kangourou
Pépé, il a dit à Maman :
- Faudrait voir à acheter des slips corrects aux petiots, sont dans l’âge où le matériel à besoin de respirer.
Moi, mon matériel, il était confiné, et celui de Tif, aussi. On avait encore des slips en coton, avec l’étiquette pour dire où c’était devant et où c’était derrière, avec nos noms, des fois qu’on échangerait avec Tata, on sait jamais.. Remarque à la fin de la journée, tu faisais la différence, mais, à cette époque là, on lavait le linge qu’en y avait la pile.
Alors, on est allé à la grande ville, là où on trouvait des slips pour des petiots comme nous, mais qui avaient grandi. On est arrivé vite, parce que Maman, elle pompait comme une dingue pour freiner, vu que la Dauphine et les freins, c’était quelque chose.
On s’est arrêté sur le grand parking de la Mairie, là où on n’avait pas besoin de manoeuvrer, on pouvait repartir en marche avant. D’ailleurs, on s’est garé en marche avant aussi. Maman, elle disait que la marche arrière, c’était que pour les hommes, parce qu’elle, elle ne savait pas où elle était. Le levier de vitesses, c’était comme qui dirait un gros fil de fer, avec une petite olive dessus en nacré beige avec le logo de chez Renault, pour par dire que tu te perces la paume lorsque tu le prends en main.
Après, on est arrivé chez la marchande, et Maman, elle a dit comme ça, tout comme Pépé, d’ailleurs, elle ne s’est pas foulée :
- Faudrait des slips corrects pour les petiots, faudrait que le matériel respire. !...
- Nous avons ce qu’il y a de meilleur !
Comme c’est Pépé qui régalait, on a eu de la bonne marchandise, ça venait de chez les Australiens. Parce que chez eux, à ce qui paraîtrait, d’après la marchande, le matériel respirait le grand air, et pouvait même se permettre des sauts.
Ma maman a regardé la maman de Tifer, et elle a dit comme ça :
- On n’en est pas encore là…
- Mais on y arrive, a dit la maman de Tifer, en hochant la tête avec désolation, et en faisant de grands signes des mains… (Comme les italiennes).
- Il ne vous a pas encore fait de carte de France, le vôtre ! Qu’elle dit à ma mère, en parlant de moi.
- Oh que si, figurez-vous qu’il ne comprend pas. Ils sont encore un peu jeunes pour des explications approfondies.
Avec le Tif, on ne faisait pas trop attention à ce qu’elles disaient vu que la moitié de la conversation nous échappait. La vendeuse avait sorti un carton, et dans ledit carton, y avait la marchandise qui venait de loin. Il avait un kangourou de dessiné dessus.
Tif, y me dit :
- T’as vu, y a marqué avec poche, tu crois que je pourrais y mettre mon couteau ?
J’y ai dit comme ça :
- A mon avis, si la poche est assez grande, on pourra même y mettre les calots, les agates et les maxi-boulards.
Ça, on a pu y mettre les boules, mais pas celles qu’on croyait…
- Vous avez des vestiaires pour les essayages sur votre gauche là…
- Ah, merci, qu’elle dit la mère de Tif, tu vas essayer le modèle moyen qu’elle lui dit.
- Ah, merci, qu’elle dit la mienne, tu vas essayer le modèle qui monte sur les hanches comme ça on pourra faire la différence avec le Tif.
Moi, j’ai pas vu le Tif, mais avec le mien si je tirais bien dessus, j’arrivais à le faire monter jusqu’en dessous des aisselles…Ça c’était du slip…
Maman, elle a dit que le mien était fichtrement trop grand. Alors j’ai eu un moyen comme celui de Tif. La poche, elle était comme qui dirait mal foutue. Moi j’ai dit au Tif comme ça :
- J’aimerais bien savoir à quoi y ressemblent les australiens, parce qu’ils foutent pas les poches sur le côté comme par chez nous…
- Regarde, qui me fait le Tif, lorsque j’y plonge la main, j’arrive direct sur le zob. Et toi ?
- Moi, tout pareil et si je descends encore un peu, j’ai comme qui dirait la main sur les roustons aussi.
Vu qu’on y était à la grande ville, la Maman de Tif, elle a dit :
- On a qu’à leur acheter leur premier pantalon avec zip, comme ça pour le dimanche c’est fait aussi.
Et bien, ce n’était pas une sortie pour rien, moi je vous le dis. On est rentrés avec un pantalon chacun et quatre paires de slips, un slip par semaine. Du jamais vu. C’est pépé qui a tiré la tronche, mais quand il a vu comment on était content avec nos pantalons à tirettes et nos slips kangourou, et les bisous qu’il a eus, il avait presque la larme à l’?il, mais il a dit que c’était une poussière d’été, et que ça le faisait larmoyer…
16 - Le pantalon zippé
Le premier dimanche après l’achat de nos pantalons à zip, on a fait fureur à la messe…C’était du zip doré, made in France. Du costaud. Avec le Tif, on a zippé un max… Et je monte et je descends, et je monte et j’t’descends. Après, on est quand même allés à la messe.
T’aurais vu le pli, il descendait raide le long de la jambe, d’un côté comme de l’autre. Des poches sur le côté, tu pouvais y fourguer toute la main, le mouchoir en tissu, le couteau, les billes, et même parfois quatre sous, pour donner au vieux curé qui devenait de plus en plus vieux.
Remarque, dans ces églises en été, c’était comme l’air climatisé, t’avais pas chaud, mais en hiver, t’avais pas chaud non plus, et y a un truc que j’ai jamais compris, dans les églises, y a du monde quand même, et ben y a pas de chiottes.
Pendant une heure et demi, tu serres les fesses. Tu rentres comme qui dirait pur, et tu sors comme qui dirait constipé. Tu crois que les gens prient, mais on fait si tu regardes bien, y se crispent, tu sens la douleur chez les uns et les autres.
Et à l’époque, t’en avais du peuple des deux côtés des rangées. Remarque comme on faisait du sport, une fois debout, une fois à genoux, une fois assis, t’avais le temps de changer de position lorsque l’envie devenait trop pressante, mais quand même, y z’auraient pu prévoir des chiottes.
Alors on comprend mieux pourquoi les gens y z’étaient contents de sortir, y avait des choses parfois plus urgentes à faire, alors avec le Tif, on est allés derrière l’église, avec quelques autres qui étaient dans le même besoin que nous, soulager la vessie. P'tain, on remontant le zip d’un coup sec, je me suis zippé la peau des couilles avec une partie des poils.
P'tain, j’ai cru que j'allais mourir.
Le Tif a bien vu que je blêmissais, que je me recroquevillais, que j’avais les yeux qui pleuraient ta mère, pas un cri, je me mourais tout seul entouré par les copains qui se demandaient ce qui se passait. P'tain de ta mère, je suis tombé à genoux comme un homme qu’on abat d’une balle, mes deux mains serrées autour de la braguette, je tentais de soulager au maximum la douleur qui me vrillait les roustons et la région du Bas-Rhin.
- P’tain, le Pat, t’as quoi ? T’es tout blanc !
- Tif, je meurs, (je pleure, les larmes coulent toutes seules).
- P’tain, le Pat, tu me fous les jetons, t’as quoi ?
- Je me suis coincé le zob, que je lui dis dans un murmure murmuré.
- Fait voir ? Qu’il me fait, p’tain, tu ne t’es pas loupé, je vois de la peau, et un paquet de poils
- P’tain, faut que tu la redescendes que je lui fais, je peux pas moi...
- P’tain, mais comment que t’as fait ? Le zip ? T’as tiré sur le zip comme un malade !
- Faut que tu me sauves…
Quand tu parles à un homme, d’homme à homme, qu’est-ce que tu veux qu’il fasse, l’autre couillon, et ben il y est allé franchement, il a zippé dans l’autre sens d’un coup sec…
Rien qu’à y penser, j’en pleure encore aujourd’hui.
Après on est rentrés à la maison, en claudiquant, après, Mémé, elle a dit comme ça, le zip c’est dangereux, on va décongestionner, j’avais comme qui dirait un oedème de la peau des roustons qui s’était formé, et vu la couleur, Pépé, il a dit,
- Faut pas t’en faire : si demain tu les as encore, tu seras un homme, sinon, faudra voir…
Le faudra voir, me faisait penser à la Marjorie, et c’était pas le moment…
Alors, Mémé m’a plongé les roustons dans du blanc de par chez nous, avec du vinaigre, à ce qui paraîtrait ça décongestionne les tissus, j’avais pas l’air couillon, assis dans la cuisine avec un tabouret entre les jambes et le zob plongé dans un bol.
Quand le tonton, il est rentré dans la pièce, il a dit comme ça :
- Ha ha ha ! Il recharge le stylo à encre, le petit !...
17 - Les trésors
Les trésors parfois, tu les cherches pas, y viennent à toi.
- Mate.
- Mate, qu’il me dit, le Tif.
- P’tain, les lolos, p’tain, les lolos !
- Mate, qu’il me dit le Tif en tournant une page.
- P’tain, le cul, p’tain !!
- Mate, qu’il me dit le Tif.
- P’tain, les poils, p’tain, t’as trouvé ça où ? que je lui dis.
- Sous le lit du tonton Marcel ! qu’il dit le Tif, figure toi que le maxi-boulard, il a roulé, roulé, roulé, jusque sous le lit de Tata. Alors moi, ni une ni deux, je me suis glissé sous le lit et je suis tombé sur Lui.
- Tonton ?
- Mais non, couillon ! Sur Lui...
- Y avait quelqu’un d’autre sous le lit de Tata ?
- Oui, Lui…
- P’tain, quand Tonton saura ça !!!
- Y saura quoi ?
- Ben qu’il y avait Lui sous le lit de tata ! Et à quoi qu'y ressemblait Lui ?
- À ça !
- Hein ?
- Au bouquin, regarde la première page, y a marqué quoi là ? qu’il dit le Tif.
- Lui, ben merde alors, Tata, elle regarde Lui !
- Ça m’étonnerait que Tata regarde Lui...
- Tu veux dire que c’est ...???
- Tonton, ouais mon gars, c’est Tonton qui regarde Lui
- Ben, merde alors... Montre encore... Christine Boisson, et la pin-up d’Aslan, ben merde alors... dit le Tif. Comme ça, t’as une idée de ce qui se cache sous les poils ?...
- J’ai déjà essayé avec la gomme de la maîtresse, mais, tu vois rien, ça abîme le papier.
- Ben zut alors, comment on va faire ?...
- Je te le dis comme je le pense, si y en avait un sous le lit, y a forcément autre part aussi...
- Tu crois ? qu’il me dit le Tif
- C’est sûr ! Faudrait que tu fasses recirculer le maxi-boulard, il est comme attiré par les magazines des femmes à poil sous le lit de Tonton et de Tata. Et pis comme ça aussi, t’auras une excuse si jamais y en un qui entre dans la chambre !
- Dans la journée, n’y a jamais personne, qui dit le Tif.
- Raison de plus pour que tu y ailles tout de suite. Tu n’avais pas la gaule, toi, avec Christine Boisson ? Tu crois que le tonton, y veut changer de tata ? Il en veut une avec plus de poils ? Ou blonde ? Puis cette fois-ci, pas question de gommer les poils, on regarde avec les yeux. Peut-être que si on met la page contre la fenêtre, avec le jour, on verra à travers les poils, et on verra ce qu’il a de l’autre côté ?...
- P’tain, le Pat, y a pas à dire, quand tu te mets à réfléchir, ça fait peur une telle clairvoyance.
- Comme qui dirait en transparence, tu suis mon raisonnement ?
- On pose la feuille contre la fenêtre et on voit, je ne sais pas quoi te dire sauf que c’est une très bonne idée. Qu’il dit le Tif. Mais, on prendra la page centrale, comme ça on aura plus de détails, parce que ça reste quand même un mystère, non ?
- Faut d’abord trouver un autre Lui, j’ai idée que si c’est pas sous le lit, à longueur de bras, c’est peut-être sur l’armoire de la chambre à coucher, histoire de pas tomber sous toutes les mains... dis-je.
- T’as raison, tu te rends compte, si c’était Mémé ou Pépé qui étaient tombés dessus, quel scandale ça aurait fait !... Il a de la chance, Tonton, que c’est nous qui sommes tombés dessus, finalement... dit le Tif
- Ça tu peux le dire... Bon, vu que je suis plus grand que toi, je regarde sur l’armoire, toi, tu as qu’à glisser les bras sous la pile de linge, comme ça, on ne perdra pas de temps à chercher par monts et vaux…
- Pas de traces de maillot de bain. Comment, il a fait tonton, pour qu’on ne voit pas le maillot ? dit le Tif.
- Eau oxygéné, Maman, elle a dit comme ça : Avec l'eau oxygénée, tu éclaircis tout...
- Je te l'avais dit, sur l'armoire y a une mine de gisements de culs, dis-je.
- Regarde, Sydne Rome, Emmanuelle, (c'est Sylvia Kristel), Paloma Picasso, dit le Tif, tout excité de la braguette.
- T'en connais un rayon que je lui dis.
- Ça cause à l'école quand même, y a pas que les mathématiques et l'orthographe, y a aussi les sciences naturelles, le corps humain.
- J'ai un copain, son père, il a toute une malle avec des Akim, des Zembla, des Janus Stark, Mandrake, je te jure, faut que je t'en ramène, c'est trop chouette, mais là, mon vieux, là, on dépasse l'imagination de la bande dessinée, on dissèque dans le corps féminin... Je sais pas combien y en a, mais à vue de nez, y doit bien en avoir une vingtaine. De quoi fantasmer, jusqu'à la fin de l'année... Y a du poil à toutes les pages, du frisé, du crépu, de la gironde, de l'élancée, de la svelte, du petit et du gros nichon, du popotin à toutes les pages, des articles, que t'en as rien à fiche, mais des photos comme ça, t'en as jamais vu... que je dis.
- Va-z-y, prend en un au hasard, il y verra rien, et nous on va s'en mettre plein les mirettes, qu'y dit le Tif.
- Un au hasard, un au hasard, ça demande réflexion quand même, comment tu les aimes, toi ? que je dis.
- Moi, tu sais... J’n’ai pas encore de préférence, prends au hasard, on a que l'embarras du choix.
- Y a Véronica dans la cuisine que tu lui vois son fessier pendant qu'elle est en train de moudre le café, ça te va ça ?
- Nue ?
- Ben oui, nue, enfin avec rien dessus, quoi !
- C'est-y pas Mémé que tu verrais nue en train de moudre le café, qu'il dit le Tif.
- Je ne te parle pas de cauchemar, je te cause de légèreté et puis décide-toi, je ne vais pas rester le nez sur l'armoire encore pendant une heure, on sait où venir maintenant...
18 - La Toussaint
À la Toussaint, on se réjouissait parce qu’on allait manger le pot-au-feu.
Mais on ramenait aussi le pot au feu.
Des chrysanthèmes.
Des fois c’était un feu, des fois c’étaient une feue, fallait bien regarder c’qui avait écrit sur la tombe. Moi, je disais rien, parce qu’au cimetière t’entendait rien, même pas une mouche voler.
Remarque à la Toussaint, de par chez nous, elles étaient toutes crevées par moins vingt. Avec le Tif, on suivait la caravane, l’air triste, parce que tout le monde était triste, mais tout le monde pensait au pot-au-feu.
Alors quelque part, même si tu faisais semblant d’être triste, quelque part d’autre, t’étais heureux aussi. Les morts y devaient le sentir qu’on était heureux, y en a pas un qui a bronché.
Alors t’avais le curé avec toute la garniture qui faisait les dix pas, et on entendait psalmodier, on entendait les amen, mais personne amenait jamais rien sauf des fleurs, alors là, faut dire que le bouquet de gauche était plus gros que le bouquet de droite, parce qu'y avait ceux qui avaient l'argent pour le bouquet que le mort il avait rien à secouer, et puis t'avais ceux qui avaient le franc vaillant mais qui achetaient un bouquet plus petit, mais c'était pour en mettre plus dans le pot-au-feu, ou alors, y avait tellement de bouquets que tu savais plus qui était en dessous, le mec, il était en train de mourir étouffé sous une gerbe de fleurs.
Parfois, y avait des tombes, tu te demandais comment y faisaient vu le nombre qu'y z’étaient dedans, pire que dans les cités-dortoirs. Remarque, vu que c’était souvent des familles, y devaient être heureux d’être tous ensemble, c’est plus facile pour jouer à la belote. Ou a la réussite.
Après, on enlevait les fleurs de l’année passée, qui étaient fanées, pour mettre les nouvelles.
Comme ça, les morts y z’étaient tranquilles, ils savaient qu’on allait revenir l’année suivante, à cause des fleurs fanées.
Et puis aussi pour avoir une pensée.
D’ailleurs avec le Tif, on arrivait avec toute la famille devant La tombe, alors on faisait le signe de croix, fallait pas se tromper parce que sinon, tu passais pour une cruche, pour sortir le rameau fallait casser la glace dans l'bol et après, on mettait notre pot au feu, et après, on était tous perdu dans nos pensées.
Moi, je pensais au pot-au-feu, le Tif y m’a pas dit, mais vu comme il se trémoussait, j’avais dans l’idée qu’il pensait qu’il pisserait bien quelque part et quand tu as l’envie, et bien tu penses plus à autre chose. Moi, il me tardait qu’on rentre aussi, parce qu’il pelait grave, j’avais les doigts de pieds déjà tout gelés, et si je voulais pas les enterrer, on avait intérêt à rentrer.
Alors après, fallait encore passer devant la tombe de la cousine, ensuite un cousin, ensuite un qui était mort à la dernière guerre, ensuite, c’était enfin le pot-au-eu. Tif, il avait pissé derrière un cyprès, si près, qu’il s’était pissé sur les godasses, mais on sentait aussi qu’il était libéré d’une pensée qui le taraudait depuis un certain temps.
Les grands aussi étaient d’un coup pressé de rentrer, donc le cortège s’est éloigné du cimetière silencieux, où on avait dérangé les morts, juste le temps d’un pot. Après les grands se retrouvaient autour du pot de l’amitié. Alors à la Toussaint, tu avais le pot-au-feu, le pot au feu et le pot de l'amitié... Fallait pour tous ceux qui restaient, quelque chose à fêter....
19 - La première Dauphine
La Dauphine, on l'avait mise sur cales dans le pré d'à côté. Papa, il avait dit comme ça, dès fois qu'on aurait besoin de pièces. Alors, Tif y m'a dit :
- Vu comme il est bricolo, ton père, j'aimerais bien voir qu'est-ce qu'il va récupérer comme pièces sur la Dauphine, pour mettre sur la Renault 16 TS...
Je dois reconnaître que ça tombait sous le coin du bon sens, vu qu'avec la Renault TS, on passait de la préhistoire à l'ère du progrès. D'ailleurs, Papa, avait dit comme ça :
- Depuis que le père de Tif, il roule dans sa 404 Peugeot, on fait office de pauvres dans cette maison.
A l'époque, tu préférais bouffer de la soupe aux pommes de terre toute la sainte année, plutôt que de rouler dans une voiture avec un standinge moins élevé que le voisin, surtout si c'était un ami par dessus le marché. Alors Papa, il a dit comme ça :
- Avec le hayon, on pourra mettre plus de choses dans le coffre.
Faut dire que le hayon, c'était du progrès à l'état pur, on passait de la Dauphine qui nous avait causé beaucoup de souci, à l'an 2000, comme qui dirait en un clin d'oeil.
D'ailleurs, le Tif, me le disait encore l'autre jour, tu te rappelles quand c'est ta mère qui conduisait... Fallait pas avoir peur... Faut dire qu'elle était toujours pressée.
Même pour partir en vacances avec le Tif, elle était pressée d'arriver. Je sais pas pourquoi. On vomissait quand même que tous les cent kilomètres. Moi, ça me venait d'un coup, pas le temps de réfléchir qu'y en avait déjà contre le siège de Papa, et par terre, et sur les genoux et entre, partout quoi.
Alors, je sais pas pourquoi, mais tous ceux qui étaient dans la voiture devenaient verts, alors que moi, ça allait quand même vachement mieux. Le Tif, ça lui venait tout de suite après, c'est pour ça qu'on était frères de sang, on avait fait comme les indiens, on avait coupé un peu notre pouce et on a mélangé nos sangs. C'était comme qui dirait normal qu'il vomisse aussi, vu qu'on était frères de sang. Je sais pas comment il faisait mais lui, il arrivait à ouvrir la fenêtre avant, ça fait qu'au lieu qu'on avait une couche de plus à l'intérieur, y en avait tout le long de la carrosserie de la Dauphine, qui normalement était blanche.
Après, y régnait dans cette voiture comme qui dirait une odeur indéfinissable, mais très reconnaissable quand même. On avait jamais froid à cette époque, on a beaucoup roulé avec les fenêtres ouvertes, c'est un souvenir qui m'a marqué, ça. D'ailleurs une fois, on est arrivé à Royan, comme ça, et ben avec le Tif, on avait une conjonctivite de l'oeil gauche pour moi, droit pour lui. Mais je vous parle de vacances, alors que c'est même pas de ça que je voulais parler, on discute, on discute et on perd le fil... Les vacances c'est un autre chapitre.
Donc, Papa avait mis la Dauphine sur cales pour les pièces, et avec le Tif, on apprenait sérieusement à conduire. Faut dire qu’avec une Dauphine sur cales, où tout fonctionnait encore très bien, tous les voyages étaient possibles dans nos têtes.
Papa, y disait toujours :
- Faudrait songer à débroussailler, mais souvent, il se parlait à lui même, comme lorsqu'il disait : Faudrait songer à nettoyer l'écurie de Pompon...
Tu peux être sûr que dans les deux minutes qui suivaient, on était plus là. Voilà, alors comme ça, on s'est dit pour débroussailler, faut aller de l'autre côté du champ et on fout le feu aux mauvaises herbes. Franchement faut être couillon pour ne pas savoir se servir d'allumettes. D'ailleurs vu que tout était sec, le feu est très bien parti. ヌa pour débroussailler, on a débroussaillé, quatre hectares et la Dauphine qui était sur cales pour les pièces aussi.
C'est con le vent...Très con...
20 - Notre première boum
- Franchement, faut qu’on assure, qu'y dit le Tif, c’est le moment ou jamais.
- T’as raison, faut qu’on assure ! T’as des capotes ?
- Tu crois qu’on en aura besoin ? On sait même pas s’en servir!... qu'y dit le Tif.
- C’est pour mettre devant la bouche, des fois qu’on aurait des bébés sans le savoir.
- Ah ouais et comment on fait ? qu'y dit le Tif, plein d’espoir.
- C’n’est pas difficile, tu déroules le bout de caoutchouc sur la langue et après tu peux faire tous les bisous que tu veux... Vouais, dans le tiroir de Papa, j’en ai trouvé, sur la notice, y a marqué : Dérouler la membrane sur le membre en prenant soit de ne pas le percer.
- Je suppose qu’il parle des dents !... qu’il dit le Tif.
- Ouais mon gars !... Dans ce genre d’opération faut rester excessivement prudent, faudrait pas qu’on soit père trop tôt. Tu te vois avec un mioche, toi, à nos âges ?...
- Comment, on va faire pour qu’elles ne le remarquent pas ? C’est quand même pas facile de dérouler la capote devant leurs yeux, qu'y dit le Tif
- On va être plus malins, on va les mettre avant d’y aller, comme ça, on sera déjà pourvu. J’en ai piqué deux, une pour toi, une pour moi, dans le tiroir du père, et j’ai regardé chez Pépé, mais y avait que des pilules pour dormir.
- Bon, je te regarde faire, qu’il me dit le Tif.
Ni une ni deux, j’ai enroulé la capote autour de la langue, c’est spécial comme goût et il y en avait un paquet, je ne voudrais pas dire que mon père était grande gueule, mais vache, j’en ai mis un paquet.
- Ad doit !
- Hein ? qu’il fait le Tif.
Il est bouché ou quoi ?
- Ad doit. Ch’est glaire pourdant, chegueux che de dis.
- Bon, si on veut pas de gosse, je fais tout pareil, qu’il dit…
- Cha me verais vomir don druc !...
- Vaut che qui vaut !
- On y va ? que je dis.
- Oguais. ! qu'y dit…
Eh bien vous allez le croire ou pas... on a mâché toute la soirée, personne ne nous a compris surtout les filles, et on n’a pas baisé...
Le truc des capotes, c’est du chiqué, pareil au même... qu'y me dit le Tif, t’es sûr que tu as bien compris la notice ?...
- Alors les gosses, qu’il fait le tonton, c’était bien votre boum ?
- C’est surfait, qu'y dit le Tif, on en fait tout un plat, mais c’est surfait.
21 - Flap, flap, flap
- Regarde celle-là... Avec le Tif, j’avais pas le temps de regarder qu’il avait déjà tourné la page pour en voir une autre ou la même sous un angle différent.
À son rythme, on arrivait à la fin, je n’avais pas encore imprimé la première.
Vu que c’était un frénétique du tourné de page, je suis allé m’en chercher un autre, comme ça, j’avais le temps d’apprécier.
Moi, je travaillais du ciboulot qui n’était pas la femelle de la ciboulette, comme on l’avait d’abord cru, mais qui faisait état de notre cerveau. Mon cerveau visualisait, celui du Tif, il était déjà en action. Sauf que le ciboulot du Tif, il était dans le calcif. Tif, il visualisait du gland. Mais il avait un an de plus, le mien devait encore mûrir, le sien était mûr.
Il l’avait déjà bien en main. Et avec les slips kangourou, y avait pas à dire, on était entré de pleine main dans le progrès. Alors pendant qu’il se polissait le poireau, moi, je contais fleurette à Marjorie, qui me regardait avec des yeux qu’elle me voyait que moi. C'est dire, l'attraction que j'avais sur elle !
Faut dire, qu’elle avait décidé de poser dans une position suggestive, elle me montrait, on me disant va-z-y touche. Franchement, je ne me faisais pas prier, elle avait des lolos glacés, mais d’un arrondi plat.
Ce qui manquait dans ses photos, c’était un peu plus de chaleur, mais lorsque je plissais les yeux, il me semblait qu’elle prenait vie, la Marjorie. Dans la page suivante, elle était à quatre pattes et elle brossait le parquet en tournant la tête vers moi. Franchement, ce n’est pas la première chose que je voyais.
D’abord y avait un fessier d’un arrondi que si j’avais pris mon compas, j’aurais pu faire un cercle presque parfait, ensuite y avait ce sillon qui commençait en haut du bas du dos, pour se glisser entre les fesses, et ensuite disparaître dans une broussaille, que Pompon et Papa, y z'auraient eu du mal à débroussailler tellement y en avait.
Ensuite, quand je regardais bien, en plissant un peu les yeux, y me semblait que les lolos bougeaient, mais bon, fallait de l’imagination et je peux pas dire que j’en avais pas... Et les bouts, les bouts, on aurait dit qui y avait quelqu’un qui avait tiré dessus tellement y étaient gros. Je ne sais pas quoi dire, je n’aurais pas voulu que Maman, elle brosse le parquet comme ça quand même…
D’un coup, j’entends comme ça :
- Honk, honk, et voila-t-il pas que le Tif, nous lâche une giclée de Nestlé concentré sur la page centrale du Lui n°174. T’aurais vu le jet, tu serais resté figé sur place. Jamais rien vu de pareil, moi je croyais qu’on faisait que pisser avec notre truc, voilà-t-il pas qu’il nous en sort autre chose de bigrement plus poisseux, genre presque blanc, mais pas tout à fait, presque chaud, et d’une odeur surprenante et d’une quantité phénoménale.
- Ben merde qu'y dit le Tif, ben merde...
- P'tain, t’as raison que je lui fais, t’as vu le bouquin ?... Mais t’es malade ou quoi, d’ousque tu sors une mélasse pareille ?...
- P'tain, ça m’a fait du bien qu’il me dit, mais je suis peut-être malade, je me suis fractionné quelque chose à l’intérieur.
- Ça devait être le fond de la cuve de la vessie, un surplus, genre truc qu’il faut nettoyer de temps en temps, en tous cas, toi, t’as bien nettoyé, que je lui dis...
- Je sais pas comment te dire, mais ça fait du bien, faut que t’essaye, le Pat.
- Y a pas le feu au poireau, et d’abord comment que t’as fait, faut que je sache quand même…
- Ben comme ça, d’abord, j’ai commencé à me frictionner le zob de haut en bas et de bas en haut et je regardais la page centrale, et plus je la regardais et plus je me frictionnais le zob, de haut en bas et de bas en haut, et puis à un moment, j’ai comme senti les boules se contracter et là j’ai envoyé la purée, qu'y me dit le Tif... Là tout de suite, j’ai un peu mal au ventre, mais je te jure je recommence tout de suite après...
- Commence déjà par nettoyer la page centrale, faudrait pas encore que ça colle et que le tonton, il arrive plus à ouvrir le bouquin...
- Mais tu n’as pas regardé ? qu’il dit le Tif.
- Non, j’étais avec la Marjorie, et franchement, je préfère la regarder elle que toi... n’y vois pas offense.
Dans le temps, on se donnait la main, mais bon, faut pas croire que c’était pour tout non plus...
22 - Mystère
On matait de plus en plus, et de plus en plus près...
C'était comme le mystère de la fourche, un relent de diablerie qui nous durcissait le poireau à chaque occasion.
Une cuisse dévoilée pour un saut de vent, une courbette du sexe féminin, où l'on plongeait les yeux vers des vallons blancs, des gorges douces et tendres, et hop, le calcif était rempli d'un engin qui cherchait une sortie à tout prix. Les australiens devaient réfléchir du slip.
Chaque fois qu'une allusion, ou une illusion me faisait penser au sexe féminin, l'autre rigolo, soixante centimètres plus bas, trouvait la sortie du slip en moins de deux, et venait cogner contre la paroi du pantalon.
Si dans cette échappatoire il trouvait un espace moins confiné, la goutte qui accompagnait cet extraordinaire métamorphose, venait chaque fois tapisser la paroi interne du pantalon. J'avais la tête de bite irritée chaque fois que je voyais le sexe opposé.
Le Tif, il a dit comme ça : Si ça continue, on va développer un cal au bout du zob, un genre de durillon, comme sur les orteils, à force de frotter.
On devenait inventifs, mais on inventait rien, d'autres étaient déjà passés avant nous.
La jupe devenait un mystère et ce qu'il y avait en dessous aussi. On s'attardait pas sur les culottes de Mémé, parce qu’elles n’avaient pas le même charme que celles de Tata. Un peu de dentelles, un tissu un peu plus fin, et nous arpentions le fil à linge comme des hirondelles au printemps.
On faisait les jardins aux alentours, là où il y avait de la donzelle et de la lingerie. On aurait pu dire au jour le jour, qui portait quoi, et de quelle couleur. Pari risqué, dont nous avions conscience. Mais ça changeait rien au problème. Ce tissu couvrait bien une partie, mais quoi ?
Une touffe de poils certes! Et si on se fiait à nos investigations et nos questions, on pouvait pousser le bouchon plus loin. Parce qu'on réfléchissait quand même. Une blonde ne pouvait pas avoir une touffe noire !... Et inversement. (J’t’cause de l époque).
On réfléchissait avec le Tif, sur la nature des-dits poils. Si, on regardait la Nicole, on pouvait nettement deviner la nature du frisotement. Elle avait le cheveu châtain et bouclé, donc la toison devait être du même profil. Si elle avait le cheveu long, donc la toison devait être longue. La Juliette était blonde, les sourcils étaient presque transparents, donc, idem pour le reste.
Tif y disait que si on voulait savoir quelque chose, c'était sans doute vers une blonde qu'on devait se tourner, parce que c'est là que nous verrions encore le mieux. Et c'est de ce raisonnement tout à fait fortuit, que le tonton nous a ouvert innocemment les portes du Paradis.
"Les astuces du dragueur trois étoiles" et en couverture une Blonde de chez Blonde dans la revue Lui, à laquelle il était attaché comme à la prunelle de ses oeufs...
23 - Comprendre l'essentiel
Enfin, on avait surtout découvert un sillon avec deux grosses butées de chaque coté, et ça se terminait par une petite boule recouverte par un bout de chair, pas de quoi fouetter un chat non plus.
- On dirait un zizi en miniature, qu’il me dit le Tif.
- Elles sont estropiées du gland, c’est riquiqui comme truc, que je dis. À tel point qu’on ne voit pas très bien de quoi il s’agit. Tu sais quoi, le Tif, dans la table de chevet de Mémé, tu trouveras sa loupe, va voir la chercher, qu’on y voit quelque chose. ...
(Quelques secondes plus tard).
- Pousse toi, j’ai l’objet en question, va falloir qu’on se penche pour y voir quelque chose, t’as qu’a allumer la lumière, la grande.
- Mais on est en plein jour, t’y verras pas mieux, faut pas croire, que je dis.
- Alors on va se mettre sous la lampe de chevet de la chambre à coucher, faut qu’on éclaircisse ce mystère quand même.
On avait buté sur la première image tellement on avait cherché, même pas ça nous était venu à l’idée de tourner la page. On est c**, hein !...
- Regarde-z-y bien, tu vois un trou ? qu'y dit le Tif.
- Pourquoi faire ? que je lui dis.
- Mais bougre d’idiot, faut bien qu’elles pissent.
- J’y vois rien.
- Je comprend pas pourquoi on en fait un tel mystère et pourquoi ça nous ébulitionne autant le sang, qu’il dit le Tif.
- Purée, il est vachement petit, le zizi, et pis t’as raison, c’est pas percé, j’y vois pas de trou.
- Va prendre la règle qui est dans ma trousse, on va mesurer le truc, qu’il me dit le Tif.
- Tu veux mesurer quoi ?
- Le gland de ce truc, c’est-y tout petit.
Je regardais le Tif, comme si je le voyais pour la première fois, ça lui est monté au cerveau cette histoire.
- Mais t’es con ou quoi ? Faudrait voir à tout remettre à l’échelle !!!
- Elle est très bien sur le lit, elle écarte un peu les jambes, pourquoi tu veux l’accrocher à une échelle ?...
Lorsque le Tif, il avait ses yeux là, on pouvait dire qu’il réfléchissait du calcif.
- En grandeur nature, bougre d’idiot. En vrai quoi, ça pourrait donner quoi, si elle était une vraie personne couchée sur un lit. Imagine, elle a la tête à cet endroit, les guiboles environ ici, attends je te montre, bon maintenant tu visualises comment ?
- Faut faire une règle de trois, qu’il dit. Va chercher mon décimètre, je vais t’en foutre plein les yeux, c’est la maîtresse qui nous a appris.
Le Tif, lorsqu’il calcule, ça lui fait comme une ride au front, c’est un manuel du calcul scientifique, l’Einstein en culotte courte des manufactures de Saint ノtienne. Le progrès en marche.
- Alors ça donne quoi cette petite boule trois fois rien, que je lui dis comme ça ?...
- Quatre centimètres, qu’il me dit.
- Énorme, t’es sûr que tu t’es pas gouré ?...Je vois pas cette fille avec une boule de quatre centimètre à cet endroit, même à l’échelle....
- Attend, je m’a gouré, j’ai inversé les chiffres. Quatre millimètres, qu’il me dit le Tif.
- Vouais, quatre millimètres, c’est rien, elles sont vraiment handicapées !... que je lui dis, ça nous dit toujours pas comment elles font pipi, et pourquoi toujours assises. Et pourquoi ça nous fait bander...
- Et puis... qu’il dit le Tif, en réflexion profonde, imagine , tu me connais je suis un manuel, imagine-toi ça comme des rails, sauf que le sillon central c’est comme qui dirait une goulotte, genre rail inversé...
- Je comprends rien !
- Mais si, imagine comme une poulie, tu vois la gorge centrale dans laquelle coulisse la corde ? Et au bout y a comme un frein, un truc qui arrête la corde, tu me suis ?
- Tu veux dire que nous avec notre gland, on glisse entre ces deux grosses masses de chairs et on vient en butée contre le petit truc, là ? Comme un machin qui arrêterait le train ?...
- Exactement, tu comprends, hein, mais faut t’expliquer longtemps... qu’il dit le Tif.
- Ben merde alors, on est quand même vachement bien foutu, les hommes et les femmes, nous, comme qu’on dirait, on a la corde, et elles, elles ont la poulie. Finalement, on en fait tout un monde, mais tout se joue en surface.
- Alors imagine, qu’il dit le Tif, parce que vu qu’il était lancé, tu l’arrêtais plus. Imagine qu’a la place de mes doigts, je glisse ma queue en surface entre les deux gros bourrelets qu’on voit là, si la fille serre un peu les cuisses, c’est tout pareil que si c’étaient mes doigts, et après que tu lui fais quelques va et vient, hop, tu craches la purée...
- Sur elle !!!
- Voilà.
- Je suis pas certain qu’elles aiment ça... Toute cette poisserie que tu vas chercher dans le fond de la cuve...
On entendait du bruit dans les escaliers qui menaient aux chambres, hop, on a glissé le Lui sous le matelas, et hop, on est descendus en sifflant, comme si de rien n’était..
Mais de clin d’oeil en clin d’oeil, on avait saisi l’essentiel...
24 - Le p’tit canard noir lacné
Je passais pour quelqu'un de sage, poli, posé, réfléchi sans doute aussi et je me dirigeais tout droit vers mes dix-huit ans comme l'étrave d'un bateau, où je ne dramatisais rien, sauf "un dangereux passage" dans une étape de vie flottante de laquelle je me serais bien passé.
Cela avait commencé quelques mois auparavant, avait duré un temps certain, et pour m'en débarrasser, j'ai dû attendre encore un bout de temps. D’avoir poussé comme une asperge, ma tête bourgeonnait. Pendant que pour certains, la vie était bruyante, lunatique, amusante, festive, déconneuse, je passais moi le permis de conduire dans mes pattes d’éléphant.
Du coup, je devenais pour les autres, le Capitaine aux longs cours, c'est-à-dire que l'on séchait les heures de classe pour aller butiner dans les vastes prairies. Et pour être encore plus précis, ils butinaient, je regardais...
Ma vie était tumultueusement plate. Inutile de fouiller votre mémoire, à moins que je ne vous aie servi de chauffeur. À ces âges-là, elles étaient divinement jolies, dans leurs incertitudes d'adolescentes, juste majeures, et déjà si câlines, félines, sensuelles. Pour avoir servi de chauffeur d’amants en devenir, j'avais droit à quelques débordements mammaires, quelques jupes retroussées, de petits bouts de tissus entre-aperçus, entre rires et petites cruautés exquises.
Le rétro, habilement disposé, me permettait de suivre une main audacieuse qui troussait une cuisse qui penchait dangereusement et, des gémissements qui s'ensuivaient, je me disais qu'elle n'était pas en danger.
J'étais toujours généreusement récompensé par un bisou qu'on m'envoyait sur le bout des doigts que j'étais sensé réceptionner avec ardeur et compassion. Je devenais par ses voyages, l'entremetteur avisé, celui de tous les secrets, le confident confit.
Je passais de l'imprévisible aux ruptures, des bonheurs à la froideur, et de la menace à la mansuétude avec une rapidité et un naturel dont peu d'acteurs professionnels auraient été capables.
Dans le secret de l'alcôve de la Renault 16 TS de mon père, j'étais le dépositaire d'amours tourmentées. Je devenais adulte en poussant mon fardeau dans cet incroyable éventail de possibilités qui ne m'était pas ouvert. Ma stratégie commerciale était franchement limitée. Là où les autres se vendaient bien, je me branlais tous les soirs on me disant que ça finirait bien par se terminer.
Et là où les autres s'affirmaient, moi je n'étais encore qu'une esquisse, le symptôme persistait. Je jouais avec eux, mais dans une distance certaine, moi devant et eux derrière, histoire d'équilibrer l’arrière-train des amortisseurs pimpants.
Et un jour, on se prosterne devant le miroir, à quatre pattes, on évoque un saint, un Dieu, n'importe lequel, parce que ce jour-là, enfin.... On se débarrasse de ce boulet, de cette infâme torture de tous les jours, on éclot à la vie comme un papillon, on est BEAU.
P'tain, enfin débarrassé de cette acné juvénile qui nous a pourri la vie...
25 - Le point noir
Le fourbe. Celui qu’on voir au premier coup d’oeil. Celui qui se loge là où personne ne l’a invité, s’appropriant l’accès le plus difficile, le plus douloureux, celui qui va se loger juste entre la joue et la racine du nez. L’horreur immonde, l’indélicat, le lamentable, l’abject singulier, l’abominable patibulaire. L’empêcheur de tourner en rond. Naturellement, il surgit le matin d’un rendez-vous galant pour le soir-même.
La douche, le café et la tartine ont le même goût.
Saloperie, tu vas dégager ! On s’essaye aux index, le flacon d’alcool à côté de soi, et une boîte de Kleenex parce qu’on sait déjà qu’on va pleurer. Il se tape l’incruste, le mécréant. Opération peau nette, putain d’hormones, sébum et bactéries. Putain, moi qui avais un grain de peau de tombeur ! S’il reste, elle ne verra que lui.
Foutu d’avance, un resto à mille balles ! (francs)
- Si vous avez vos règles, utilisez et blablabla, une issue possible dans trois mois.
- Utilisez un fond de teint !
- Appliquez du miel sur votre visage pendant deux semaines.
- Un badigeonnage deux fois par semaine avec de l’huile d’olive !
- Avec de la tomate !
- Utilisez deux trombones si vos index sont trop gros !
C’est ça, j’ai les index trop gros ! Sus aux trombones. TU VAS SORTIR, SALOPERIE !
Septième mouchoir. Je pleure. L’autre est toujours là à me narguer. Mais il va céder, je sais que je vais l’avoir, c’est une question de temps, de matériel, et de souffrance.
Surtout de souffrance, il aurait pu être n’importe où. ヌa, c’est comme les furoncles, c’est toujours au cul qu’ils apparaissent, un peu comme les hémorroïdes, mais au moins on ne les voit pas au premier coup d’oeil. L’autre, je le vois comme le nez au milieu de la figure. À croire que j’ai que des vermiceaux autour du nez, ils sortent tous, sauf celui-là ... Il s’accroche avec ses petits bras musclés.
Huitième mouchoir. P*tain, qu’est-ce que ça fait mal ! Vaut mieux éplucher des oignons, au moins ça prend une fin.
- L’apparition de boutons noirs est en partie déterminée par un manque de sommeil !
- Parce que vous êtes constipé, abusez d’épices, de viandes rouges trop grasses, de chocolat et de boissons alcoolisées.
P'tain, tous mes symptômes. JE SUIS MALADE.
- Pas question de le toucher !
JE NE PEUX PAS, j’ai un rencart, hyper important.
Neuvième mouchoir, j’ai rajouté des petites boulettes de coton sous les trombones, histoire de ne pas déraper à chaque fois, je transpire à grosses gouttes, mais je sens que ça vient, je vais l’avoir.
Dixième mouchoir, je vais l’avoir. Tout à l’heure, j’ai pas pu trop douloureux, mais je vais l’avoir, ça fait deux heures que je suis sur le coup, c’est pas cet emmerdeur qui va m’empêcher de tirer un coup quand même.
Midi ! Vingt mouchoirs, une estafilade sur la joue due à un trombone, mais la saloperie a cédé, j’ai le pif comme une pomme de terre, la vitelotte, celle à chair violette. Ne reste plus qu’à me soigner le nez, je ne peux pas aller au resto avec un nez rouge quand même, elle va croire que je cuve.
Téléphone.
- Chéri !
- Oui, mon Amour, avec la voix la plus suave possible.
- Pour ce soir, c’est râpé, j’ai les chutes du Niagara, c’est tombé ce matin !
Y a des jours comme ça, où il ne faudrait pas se lever.
26 - Le ski
Je pose les deux personnages, Nath étant mon ex.
- Tu viens, Nathalie, on va faire du ski, vu qu'on a l'après-midi pour nous.
- T'es équipé ? dit-elle.
- Non, mais te casse pas, je vais mettre un K-Way.
- Un K-Way ?
- Voui, je vais mettre mon jean, un bon pull, et le pantalon de K-way et la veste qui va avec.
- Euh, t'es sûr que c'est un bon plan ?
- Oui, ne t’inquiète pas, j'assure et toi ?
- Je vais louer un équipement complet.
- Moi je prendrai que les skis et les chaussures, on prendra aussi des forfaits pour les remontées.
- T'en as déjà fait, dit-elle, du ski de descente ?
- Voui, dans les Vosges, mais j'étais gamin, ça remonte à Mathusalem.
- Ah...
- Et toi ?
- J'ai des connaissances.
- Comme ça tu pourras me montrer, dis-je, confiant.
- Je vais vous louer des skis de bonne longueur, comme ça, ça va vous conforter dans l'assise me dit le loueur avec un clin d'oeil.
Quand je suis en affaire avec un professionnel, je le sens tout de suite et celui-là était de la partie.
- Tu veux aller sur quel genre de piste ? dit Nath.
- On n'a qu'une journée pour s'amuser, on a va monter et puis après, on se laisse guider par l'instinct...
- Ton instinct ?
- Vouais, t'inquiète, je maîtrise.
- Ça fait quand même quèques années que t'n’as pas mis les pieds sur des skis, tu veux pas d'abord qu'on commence par une petite descente, histoire de voir ?
- Dis tout de suite que je suis bon pour la ferraille. S'agit juste de descendre sur une piste enneigée, je suis bien sûr les genoux, je plie facile et la technique du bâton, tu m'expliqueras... tu sais, le planter de bâton ?
- Justement, le planter de bâton, faudrait peut-être qu'on voie ça en bas, non ?
- Ce n’est pas une descente qui me fait peur, allons-y, on perd du temps là...
- Pour freiner, tu fais comment ?
- Tu sais, je connais la technique, on met les skis en V et ça freine tout seul...
- Vouais, c'est pas gagné.
- Je te montrerais, je me rappelle très bien, maintenant que tu en parles.
- On prend le tire-fesses ?
- T'es folle, je ne tiens pas à me viander en bas, on va prendre la nacelle, celle qui monte jusqu'aux sommets.
- T'es sûr ?
- Mais oui, allez viens on y va...
C'est beau la confiance....
- Tu ne vas pas me perdre ?
- Je risque pas, dit-elle en riant, t'es le seul qui porte un K-way, risqué, mais reconnaissable.
Je crois que j'étais dans l'euphorie du moment, le paysage était magnifique, il faisait un froid terrible, mais en même temps il y avait du soleil, le mot "risqué", c'est perdu aussi vite qu'entendu.
- Il n'y a que des pistes rouges et noires ?
- Je ne voudrais pas jeter un froid, mais ici, il n'y a que des personnes expérimentées, tu vas faire comment ? me demanda-t-elle.
- Je vais descendre en zigzag, après je pense que je vais me laisser tenter par la vitesse, il n'y a pas de platanes et la piste est bien damée.
- Tu vas descendre tout schuss ?
- Tout schuss, voui, c'est ça, mais ne t'inquiète donc pas, mon schuss, ne doit pas valoir le tien...
- Enfin, tu me rends quand même facile 40 kg sur la balance, je connais tes poignées d'amour, Darling.
- Ho ho, parle plus fort encore, ça doit rester entre nous, pas la peine que des centaines de personnes le sachent non plus.
- Bon, tu me montres ce que tu sais faire ?
Franchement au début, tout est relativement simple, j'arrivais même à freiner, et donner l'illusion de quelque chose d'à peu près maîtrisé. Je ne chutais pas et prenais confiance en moi. Le top.... J'avais certes un peu de difficultés avec la longueur des skis, mais c'était juste une adaptation qui me semblait transitoire. Je donnais le change. J'étais un peu crispé, je serrais les fesses, mais je ne m’en sortais pas trop mal.
- Pas mal, me dit Nath, pas mal, je vais partir devant, je descends jusque là-bas, me dit-elle, je t'attendrai, en indiquant un point à l'horizon.
Et la voilà virevoltante dans l'azur. C'est beau quand même, il ne me restait plus qu'à faire la même chose...
Et puis, il y a eu cette superbe descente en ligne droite qui remontait de l'autre côté, la vue était vraiment dégagée, tout me semblait bien damé, plat et sans obstacle aucun.
C'était le moment tant attendu, l'apogée du plus-que-parfait. Je m'imaginais, les skis bien parallèles, comme sur un tremplin de ski de saut en longueur, je m'y voyais déjà, il me semblait que c'était pas nécessaire de prendre d'élan, simplement plier les genoux, rentrer la tête en fixant l'horizon dans la recherche de la vitesse pure, mon corps était prêt et j'avais pris la position de l'oeuf.
Je me donnais le top de départ, 5-4-3, je sais pas pourquoi, le vent sans doute, je suis parti avant d'arriver au 2.
Au début, franchement, c'est grisant, l'air dans les cheveux, l'air vivifiant dans le nez, mais rapidement, ça tournait au cauchemar, la vitesse atteinte dépassait de loin ce que je croyais et la descente est bien plus pentue et puis il y a quelques bosses qui m'avaient échappé vu de là-haut.
Je passais les premières avec plus où moins de bonheur, les quelques suivantes avec beaucoup de chance, je commençais à transpirer à grosses gouttes, et puis miracle, plus une bosse, rien que du lisse, mais toujours descendant, je regardais le bout de mes skis en priant le Seigneur qu'ils restent bien parallèles, je remontais de l'autre côté comme qui dirait une fusée, je pensais pas que l'autre versant était aussi court.
Je décollais pour quitter la piste rouge qui tournait à gauche, je laissais Nath ébahie, qui m'attendait dans le virage, pour rejoindre une noire plus pentue encore, après un vol plané qui dura longtemps, longtemps, je retombais sur mes jambes, mais je sais pas pourquoi les skis avaient perdu la bonne orientation et je sentais comme qui dirait, le début de mes ennuis.
D'abord je chutais lourdement, j'avais perdu cette grâce du cygne pour m'écraser comme une bouse, le nez en avant, mais les skis tenaient bons, faut dire que j'avais bien serré. Le souffle coupé, j'entamais une belle descente. Vues du sol, les aspérités me semblaient montagnes, je cherchais frénétiquement à reprendre mon souffle, sautant d'une bosse à l'autre comme un galet qui ricocherait sur l'eau.
- Écarte les jambes et les bras, criait Nath, enfin c'est ce qu'elle m'a raconté après, en tentant de me suivre
Faut dire que le K-Way n'arrangeait rien, je glissais bien, je me disais qu'on pouvait mettre du K-Way sous les luges, où même sous les skis, pas la peine de farter. Je passais à côté de quelques retardataires qui me saluèrent en levant leurs bâtons, mais j'avais pas le temps de répondre que j'étais déjà cinquante mètres plus loin, la ceinture du pantalon faisait office de lame, et je me bourrais le caleçon avec quelques kilos de glace et de neige.
- Plaque les skis par terre, ça va te freiner, me dit Nath en arrivant à ma hauteur.
C'était le bon sens qui causait, je ramassais un max, mais à la première bosse, je repartais de plus belle. Il y avait un sapin, je voyais bien que je me dirigeais vers lui, vue rasante certes, mais le tronc me paraissait de plus en plus gros. EH bien par un caprice, je suis passé à côté, j'en ai perdu un ski, et je tournoyais comme une toupie, j'ai arrêté ma course folle dans la poudreuse, je me suis enterré, mais j'étais vivant.
Ça m'a passé l'envie du ski... C'est une chenillette qui nous a descendus dans la vallée. Sont braves les guides de haute montagne.
Faut pas mettre de K-Way, lorsqu’on ne sait pas skier...
Et vaut mieux savoir s'arrêter aussi.